Voyager en dinghy-class
La Papouasie Nouvelle Guinée est un pays qu’il vaut mieux parcourir sans agenda. Si une pluie torrentielle n’empêche pas votre voiture de traverser une rivière, la fiabilité toute relative des locaux peu habitués à entreprendre quoi que ce soit finira bien d’achever votre parcours bien ficelé.
Heureusement, on avait rien prévu. Après 4 jours à se la couler douce parmi nos hôtes, le clan Blackwara, il devenait plus que temps de reprendre la route. L’organisation du transport ne semblant pas leur fort, nous primes les choses en main en rebroussant le chemin jusqu’à Vanimo pour trouver nous même un dinghy. Le dinghy est un petit bateau pour 6-8 passagers qui a la fâcheuse tendance de se renverser dès que la mer s’agite un peu. À part le moteur, tout est d’une seule pièce en fibre de verre, une grosse coquille vide, sans sièges ni toit, et évidemment sans toilettes. Les conditions idéales pour le voyage de 5 heures sans interruption qui nous attend, qu’il pleuve ou que la mer s’agite.
En route pour Vanimo nous croisons Jerry, un jovial glandeur professionnel censé partir avec nous, accompagné de sa famille.
- Hey Jerry, we see you in Vanimo ?
- Yes, I find a car and and see you there.
Mais non, Jerry ne viendra pas, overbooké sans doute. Jerry était le spécialiste des discours foireux dès que l’occasion se présentait, à faire des bilans creux et des plans sur la comète, solennellement, façon remise de prix nobel : « Alexandre, Grégory, vous êtes parmi nous depuis 3 jours… vous mangez comme nous et dormez comme nous. On parle de votre pays et du monde extérieur, on apprend des choses… ». Ça ne menaient jamais à rien, jamais de question, seulement de plats constats. Nous acquiescions de la tête, un sourire poli. Les papous sont fascinés par n’importe quel sujet mais ne posent jamais de question et la seule réaction que vous pouvez attendre d’eux est un tic de surprise ou désapprobation en faisant claquer leur langue sur leur palais. Sans télévision ni journaux à la campagne, ils ne connaissent presque rien du monde extérieur. Le peu qu’ils connaissent, ils le répètent 10 fois comme si c’était la première en ayant le sentiment de vous révéler une info capitale même s’il s’agit de vous dire pour la centième fois que leur principale nourriture est le sago. Un jour j’ai dessiné Jester, un chasseur du village. Il a montré le dessin à d’autres jeunes du camp en leur répétant une demi-heure où nous étions tous les deux assis dans la pièce lorsque je l’ai dessiné. Un fait sans intérêt. Chez eux c’est une histoire, chez nous une anecdote que nous n’aurions même pas idée de partager.
Au port de Vanimo on embarque sur un dinghy direction Aitape. Le pilote place les passagers symétriquement de part et d’autre du bateau pour l’équilibrer puis on s’élance à toute allure en rebondissant sur une mer ondulante. Chanceux, nous avons droit à une planche de bois en travers du bateau pour s’assoir, planche qui glissera lentement en arrière jusqu’à ce que je me retrouve sur le dos, au fond du bateau. Pour parler il faut hurler pour couvrir le bruit des moteurs. Aux abords des villages, des pêcheurs sur des bateaux rudimentaires taillés à même un arbre sont disséminés à la surface de l’eau. Nous filons au travers à toute vitesse pendant que les gens font coucou. Ils aiment bien dire bonjour aux connus ou inconnus. Ça occupe, et ils sont encore plus vifs quand ils aperçoivent les deux blancs becs que nous sommes. À l’horizon, la surface de l’eau frétille… Le bateau ralentit, le conducteur a repéré un banc de gros poissons. Il amorce un long virage en déroulant sa ligne pleine d’hameçons. Les passagers en profitent pour s’allumer une clope ou recommencer à mâcher de la noix de betel. Ils peuvent maintenant cracher leur excès de salive rougie hors du bateau sans s’en prendre plein la tronche. Tout le monde scrute la ligne à l’affut de la moindre agitation. Je vous laisse imaginer comment ça se passerait en France si le conducteur du bus que vous venez de payer une petite fortune s’arrête en chemin pour se gratter un Bingo.
Arrivés à Aitape la ville est tout aussi lugubre que Vanimo, les rues occupées par quelques locaux éparpillés, figés dans une pesante atmosphère. Les supermarchés sont mieux gardés qu’un coffre fort, sans fenêtres et entourés de gardes et barbelés. Pas très engageant. Un ivrogne nous portant beaucoup d’intérêt fini de nous convaincre de mettre rapidement les voiles direction Wewak, à 150km de là.