« HELLO »
On quitte Erenhot en milieu d’après midi direction le sud pour atteindre Datong quelques jours plus tard. Arrivés dans un bled vers 19h on cherche un resto, le seul du village, avant de chercher un coin pour camper. Bienvenue en Chine, la carte du restaurant n’est composée que d’idéogrammes chinois. On commande au pif sans prendre trop de risque, aucun plat ne dépasse les 2€. Une table de 3 vieux nous regarde avec attention, nous parle chinois. On répond en français. La communication est limpide. Ils se mettent à nous interpréter un tube local en canon et nous invitent à leur table. Bières, clopes, bouffe. On apprend qu’ils sont mongoles et travaillent en Chine.
Deux vieux sur trois vont apparemment rejoindre leur lit mais le troisième est un dur à cuire. Il se lève, chope un pack de bibines et nous en tend une chacun. Il ouvre son paquet de galettes à la viande et remplit nos assiettes, me fourre une clope dans la bouche sans m’expliquer comment fumer et manger en même temps et nous ordonne de manger son omelette aux champignons. Mange mange, mange mange. Jamais je ne me suis senti plus oie à gaver que ce soir là. J’ai encore la bouche pleine et les mâchoire en pleine mastication quand il lève son verre de bière pour trinquer et le vider cul sec. Je m’entraîne à gobant ma bouffe.
Après quelques tournées de bière cul sec le gaillard nous ramène une bouteille à 45° d’alcool de riz à l’odeur d’éther. On se débat, gémit mais rien n’y fait, fini la bière, nos verres sont remplis d’alcool à brûler. Là encore c’est cul sec. Dehors la nuit est tombée à vitesse grand V. Il n’est que 20h et un chat n’y verrait quedal. Notre compagnon nous fait comprendre qu’il faut pas reprendre le vélo maintenant. On peut dormir chez lui, à la condition de tomber la bouteille à 45°. Quelques hoquets plus tard et entourloupes de vidage de verre dans les assiettes, le fond de la bouteille fini par être sec. On reprend nos vélos. Il enfourche sa bécane, accélère et se vautre. Complètement cuit il nous accompagne finalement à pied, titubant, s’appuyant sur moi pour essayer de garder le cap. On l’abandonne dans un éclair de lucidité sur la route de son chez lui. Le risque de se prendre une remontée gastrique était trop probable. Et puis on s’enfonce à vélo dans la nuit noire, noire et obscure, obscure et sombre, Isabelle s’est cognée contre les murs. Une grosse lune rouge se lève tout juste à l’horizon et donne à notre pédalage nocturne un air de science fiction.
Une fois la route direction Beijing dépassée on atteint une zone où les blanc-becs à vélo posent rarement un pneu. La plupart des cyclistes mettent le cap directement sur Beijing. Pour notre part on tente d’abord un passage par Datong ce qui nous mène par des bleds où les locaux nous regardent avec des yeux aussi débridés que possible. Certains nous glissent un « hello » comme pour tâter du bout de l’index une chose inconnue. On leur répond de la même façon. Ils s’en vont en riant, c’est le seul mot d’anglais qu’ils connaissent.
On continue de commander au pif dans les restos ce qui n’est pas toujours une mince affaire. Je demande un « pain » – une espèce de boule de pain précuite réchauffée à la vapeur – et me retrouve avec une assiette de 6. On commande un plat pour deux et on se retrouve avec un chacun. En Chine on ne compte pas sur ses doigts de la même façon. Jusqu’à 5 ça reste similaire à chez nous. 6, on fait les cornes comme dans un concert de rock. 7 on joint le pouce, l’index et le majeur comme pour se faire taper sur les doigts. 8, PAN t’es mort, en forme de pistolet. 9, l’index fait un crochet et le reste du poing est fermé. Au delà on utilise la calculette. C’est loin d’être con, mais il nous a fallu internet et Wikipedia pour réapprendre à compter. Sinon pour demander un bol de riz, on le dessinait. Maintenant on dit « Mifââââ » et ça marche aussi.
Après la Mongolie et ma précédente expérience de la Chine jonchée de multiples arnaques, l’honnêteté des restos est appréciable. Pas un problème même lorsqu’il n’y a pas de carte, pas de prix. Ne pas avoir à se méfier dès qu’on veut se remplir la panse est un luxe non négligeable. Le dernier resto en date sans menu nous a demandé 2,50€ à 2.
Plusieurs centaines de kilomètres à vélo plus tard nous arrivons à une cinquantaine de bornes de Datong dans une ville appelé Fengtzen qui court le long de la route principale. Les habitants repoussent inexorablement la poussière du trottoir, de multiples échoppes vendent une sorte de mini-pain et le reste est composé de garages et de restaurants. Nous nous dirigeons vers l’un de ces derniers. Le temps d’accrocher les vélos au plus proche poteau, une foule de badauds nous encercle et nous observe. Ils se marrent, commentent je ne sais quoi, fixent nos bouilles crados et nos étranges vélos. De toute évidence peu d’étrangers passent par ici. On s ‘attable dans le bouiboui alors que quelques curieux nous suivent jusqu’à l’intérieur et restent debout à côté de la table à nous zieuter. Le temps de constater qu’ils ne sont pas les seuls à détenir le secret de l’utilisation des baguettes, ils se dispersent et nous laissent à nos assiettes. Un seul subsiste, un jeune étudiant en géologie qui parle 4 mots d’anglais, trop heureux de nous poser les questions de base auxquelles on répond le plus simplement possible. La nuit tombe très vite. On file et après une tentative infructueuse d’incrustation dans un temple on finit par monter la tente dans ce qui semble être un cimetière, entre 2 grosses mottes de terre.
On atteint finalement Datong le lendemain. Je n’en avais vu que la gare et la station de bus l’an passé. J’y découvre cette fois-ci une ville énorme en pleine reconstruction, à l’image de la plupart des villes chinoises. Les rues ont 6 voies de circulation. Tous les bâtiments le long des nouvelles routes élargies ont été partiellement détruits pour faire place à la chaussée offrants aux passants une vue sur ce qui était auparavant peut être une chambre ou une cuisine. Les immeubles se construisent par grappes un peu partout. C’est un Sim City taille réelle. On retrouve d’ailleurs le même schéma de ville en ville, les mêmes rues, mêmes largeurs de trottoirs… Qu’on me mette à Datong, Xi’an ou une autre ville chinoise dans 15 ans, je doute pouvoir discerner l’une de l’autre.
Et finalement il y a quoi à Datong ? Pas grand chose de touristique si ce n’est quelques sites intéressants aux alentours comme un temple suspendu ou des grottes sculptées. La ville elle même renferme un énorme fort encerclé d’une gigantesque muraille. Ils sont en train de reconstruire l’ensemble, le genre de chantier que l’on entreprenait il y a encore quelques siècles mais bien trop onéreux de nos jours. Pas en Chine.