Stukrprise-Stukrprise

Fraîchement débarqué du coté laotien, à Huay Xai, je finis par trouver une chambre à 50 000 kips dans une GH chinoise non indiquée.

Et j’entame dès à présent la recherche de la surprise. Les premiers contacts ne sont pas très amicaux. D’ordinaire quand je demandais les prix, les gens rigolaient. Là, ils m’envoient paitre. Bon, je savais que ce ne serait pas facile… on persévère!
Le soir, après une bonne heure d’errance dans les rues pour trouver le précieux, je rencontre Justin un cinquantenaire Français qui voyage en vélo lui aussi.
(Il est à noter le nombre impressionnant de Français ou de francophones cyclistes que l’on croise sur les routes dans ce coin du monde. Un couple de cyclistes Néo-Zélandais me fera part de sa surprise à ce sujet. Encore un petit effort et on boutera l’Anglais hors de nos terres! Comment ça c’est dépassé?)
Justin fait partie des gens qui sortent de l’ordinaire, indépendants, au vécu original, ceux que l’on croise trop peu en France et souvent en voyage. Il s’est aventuré en Asie du sud-est ces derniers mois, délaissant pour cette fois une Inde qu’il connaît bien depuis 25 ans, presque trop bien à l’entendre. Et comme souvent à écouter les passionnés d’Inde, ce pays attire, repousse, dégoute, provoque l’admiration, une espèce de drogue, un aimant qui tourne et se retourne sans cesse. Les histoires qui en sortent sont toujours passionnantes. À force, il faudra bien aller y faire un tour pour se faire une idée.
Bref, je vous perds, je fais durer le suspens. Au restaurant le soir, je demande à deux occidentaux qui vivent sur place si mon projet est possible mais il ne ressort rien de la conversation malgré leurs contacts thais. Il faudra donc que je me débrouille seul pour le moment. Dès le lendemain matin, je pars à la station de bus pour acheter un ticket pour Luang Prabang l’après-midi et je ne manque pas de demander sur la route du retour dès qu’une occasion se présente. Et là Bingo! Il en vend un! On commence à négocier en baths/kips/dollars pour un que j’avais repérer sur le bord de la route. On reste bloqué à 20 000 contre 30 000 baths (il démarre à 60 000 B = 1500€)et m’emmène voir un autre qui était à vendre. Même modèle, un que j’avais repéré la veille quand sa femme m’avait dit non… Comme quoi!
Enthousiaste comme tout, je négocie l’affaire pour 24 000B, 800$, le budget que j’avais pour ce petit trip. Je le teste, et voilà, je suis l’heureux propriétaire d’un tuk-tuk!

L’idée était donc d’en acheter un, piquer au sud et se promener dans les villages perdus de l’est du Laos avec l’autre heureux propriétaire d’une moto. Et le revendre avant de continuer en vélo.

-Tu veux aller où?
-Au sud du Laos, un peu partout.
-Yes, no problem.

Il me faut encore changer la batterie qui commence à faiblir sérieusement et ajuster le frein qui est plus que limite (disons quasi inexistant). Après avoir refusé de me faire un papier pour la police (ouais, on est pas trop autorisé à acheter un véhicule laotien en temps que farang), le proprio m’accompagne dans les premières bricoles toujours avec son interprète digne de mon niveau d’anglais en CM1. Première surprise désagréable : je paye la nouvelle batterie 50€ là où je pensais m’en tirer pour 20. Et encore, le premier prix était 300$. « Euh… à ce prix là je garde la vieille les gars hein! » Enfin, ça se passe pas trop mal quand même, je vais manger, j’annule mon ticket de bus avec 3,5€ de perte, je reviens pour mettre en route la bête. Ça tire toujours à fond à gauche, les vitesses toujours insupportables à passer, le bruit infernal, mais je m’en fous.

Faut que j’aille faire le plein maintenant. Première épreuve : une côte. Je m’élance… fond de première… ça grimpe…. ça grimpe… ça grimpe… ça grimpe moins… le moteur faiblit… le moteur s’arrête… ça ne grimpe plus du tout… le tuk-tuk s’arrête… le tuk-tuk recule… recule… j’ai pas de frein… panique… PANIQUE! Merde je fais quoi là!? Y a une propriété ouverte sur la droite derrière moi, je braque brusquement et le tuk-tuk s’arrête moitié dans la propriété, moitié sur la route. Je peux pas rester là, je redescends en marche avant en espérant que personne ne me coupe la route jusqu’à ce que j’ai pu remettre le moteur. Tout se passe bien (vue la situation) mais 200 mètres plus loin… panne d’essence. Rhoooo di diou ça commence à me les brouter là!
Est-ce qu’il n’a pas pu monter la pente par manque d’essence (réservoir quasi vide et penché) ou juste parce que c’est une gros veau qui ne montera jamais rien? C’est une question capitale vue la géographie du pays et notamment le nord d’où je dois sortir. Je retourne voir l’interprète, il me fait attendre l’autre deux heures et m’avoue après quelques questions détournées que de toutes façons, cet engin ne peut rien faire en montagne.

-Aaaaaaahhhh, c’est maintenant que tu me dis ça alors que tu m’as demandé 15 fois où j’allais et qu’il n’y avait jamais de problème?
-Moi j’ai jamais demandé ça.

OK, on va bien s’entendre. Réfléchissons. Le tuk-tuk risque donc de ne rien monter, faut encore que j’aille sans doute me faire enfler pour refaire les freins, que j’attende la saint glinglin qu’on vienne me dépanner, je suis dans une province un peu spéciale avec quelques barrages de flics qui risquent de vouloir au mieux un bakchich, au pire me confisquer le bouzin avec amende, pertes et fracas. Avec une bête de compétition en pleine forme je tente le coup en passant par les pistes pourraves. Avec les autres incertitudes… Outre l’enthousiasme du départ, il ne m’est arrivé que des tuiles, et comme en principe ça vient par série de dix ce genre de conneries… Il faut que je me débarrasse de ce truc. Encore faut-il qu’il ne cause pas trop de problèmes pour le reprendre, il est clair qu’il n’a pas fait une mauvaise affaire en me le vendant. Et là je pense au pire, en m’imaginant les scénarios les plus sordides pour lui faire cracher le pognon en retour. Après tout lui aussi est hors-la-loi dans l’histoire, on jouera là-dessus s’il faut.

Quand le proprio refait surface à la sortie de ma GH, il est d’accord pour me le reprendre avec 100$ de moins. C’est déjà une belle avancée par rapport à mes angoisses. Rien à faire pour leur expliquer que le monstre ne montera pas les pentes et qu’il y a eu disons… « incompréhension » pour être gentil. Après une nouvelle négociation de sourds je lui laisse la batterie neuve (qu’est-ce que j’en aurais branlé de toutes façons…) et il m’enfle de 50$ pour le prix.
L’interprète me demande 40$ pour son rôle primordial dans l’opération (vue l’efficacité de sa traduction… il repassera). Je lui explique en rigolant que le mister à côté a suffisamment gagné sa journée avec 50$ et une batterie toute neuve pour que ce ne soit pas encore moi qui casque. Tout le monde rigole. Tiens, ils ont compris ça!
Me voilà donc allégé de 100 roros pour une journée riche en émotions et je retrouve par hasard Justin à qui je raconte mes aventures avec une Big BeerLao. J’en avais carrément besoin!
Faire des économies de bouts de ficelles sur la bouffe, le logement, le transport, etc. pendant des semaines et perdre 100$ en quelques heures, ça fout les glandes dans des proportions divines. C’est chère l’anecdote marrante. Mais ça reste marrant.
Je pense qu’on peut ainsi refermer la trilogie de la loose motorisée avec Alex. J’aurais été le fier propriétaire d’un tuk-tuk pendant quelques heures.

Non mais vous croyez sérieusement que j’en ai fini avec mon idée de tuk-tuk?

Vous rêvez! Je recommence l’opération à Luang Prabang dès aujourd’hui (je suis arrivé ce matin à 4h)!

Le tuk-tuk vaincra!