Guerre de clans papous
Après 5 heures passées au fond d’une coque de noix propulsée par deux moteurs surdimensionnés, nous retrouvons la terre ferme à Aitape, prêts à reprendre la route à vélo.
Pour faire court, les 150 bornes jusqu’à Wewak ne sont parcourues que par des 4X4 et camions. La plupart du parcours est constituée de gros cailloux, de boue jusqu’aux genoux, de chemins de terre défoncés et d’innombrables rivières à traverser, voire à emprunter lorsque la route et le lit de la rivière ne font qu’un.
Les locaux sont toujours aussi accueillants, loin des racailles alcoolisées décrites par nos premiers hôtes. Pas une journée ne passe sans qu’on nous offre du poisson séché, des noix de coco, pastèques ou ananas, et nous avons toujours une vingtaine de curieux pour nous observer pendant nos repas en bord de route. Lorsque nous demandons l’autorisation de squatter la plage paradisiaque d’un village pour faire trempette, un cours de navigation s’improvise.
Nos expériences en ville sont très différentes. En quête d’une auberge à Wewak, un garde nous ouvre furtivement une porte haute surmontée de barbelés et la referme en toute hâte derrière nous. L’intérieur a un air de prison délabrée, à des lieues du prix indécent qu’on nous annonce. Les commerces de la ville sont entourés de barbelés et les gardes filtrent les clients comme dans un aéroport, un par un. En fin d’après-midi des épaves alcooliques font leur apparition et les locaux nous conseillent d’éviter certaines rues, moins sures. L’ambiance devient pesante. La ville enroulée autour d’un lagon bleu perd tout son charme le soir. Tant pis pour le confort, nous filons au port attraper le bateau pour Madang qui ne part que deux fois par semaine.
Le bateau et son moteur défectueux nous rajoutent 8 heures au trajet. Il s’agit autant d’un transport de passagers que de noix de betel. Dans le hangar du port où nous passerons la nuit, les sacs du précieux contenu se vendent aux enchères et partent directement dans les Highlands (les « hautes terres », les montagnes de PNG, où les noix de betel ne poussent pas) pour être vendus 3 à 4 fois le prix de départ lorsque la cargaison est acheminée jusqu’à Mont Hagen, dernière grande ville des montagnes. Les noix se négocient directement dans le hangar et pas une noix ne sort avant d’avoir payé au port une taxe par sac qui correspond au coût du transport. L’acheteur loue ensuite un PMV (un genre de minibus taxi) pour partir dans les Highlands. 20K (kina) par sac et 100K par personne. Pour 3 personnes et 10 sacs d’environ 30kg, l’aller simple à Goroka à 350km revient à 200€. Une noix vendue 20 toyas (0.20K) sur le lieu de récolte peut grimper jusqu’à 1K (0.4€), au prix d’une cigarette dans la plupart des villes papoues. Et les cigarettes, même celles produites localement, coûtent plus cher qu’en France (7,75€ les 20) et reflètent le prix exorbitant de tous les aliments en Papouasie. Le pays produit très peu de nourriture (autre que fruits et légumes) et importe la plupart depuis l’Australie notamment.
À Gusap, sur la route pour Lae, nous découvrons pourquoi les Papous surnomment leur pays « le pays de l’inattendu ». À l’approche d’une ville, des locaux nous arrêtent en bord de route. Ils sont une cinquantaine, armés de lances et d’arcs aux flèches peintes et certains sont recouverts de boue sèche. Nous sommes arrivés au milieu d’une guerre de clans. Tous sont assis sur la pelouse entretenue, à l’ombre des arbres et se passent des miches de pain pour prendre des forces avant la bataille. Sans la sur-abondance d’armes blanches, on se croirait au milieu d’un pique-nique. Ils ne portent pas de costume particulier, seulement les mêmes fringues crasseuses de tous les jours, la boue en plus. Une semaine auparavant un type a planté un couteau dans la main d’un autre. Le clan de la victime a demandé 10.000 kinas (3900€) en réparation au clan du second. L’offre a été refusée et de fait, une guerre déclarée. Les hommes de chaque clan sont alors d’office mobilisés et vont se battre avec ce qu’ils ont sous la main : arcs, flèches, lances ou machettes. Comme n’importe quel pays, la PNG a des tribunaux et des juges, mais les clans se débrouillent la plupart du temps seuls, s’improvisant médiateur et juge. La justice passe soit par l’argent, soit la baston. Autant dire qu’en cas de pépin, il vaut mieux filer direct à la police qu’avoir à faire aux locaux.
D’une manière ou une autre, les deux clans se sont plus ou moins donné rendez-vous aujourd’hui pour se mettre sur la tronche. Le clan des montagnes (de l’agresseur) se cache apparemment dans les champs de canne à sucre aux alentours. Pour se mettre dans l’ambiance, ils ont lancé plusieurs feux dans les champs autour du village, la manière papoue de sonner le clairon pour annoncer la bataille.
Les locaux autour de nous écoutent leur chef dans leur langue natale (une parmi les 800 autres utilisées en PNG) leur parler tactique de guerre ou macramé, on ne saura jamais étant donné qu’eux seuls peuvent communiquer dans cette langue. De l’autre côté de la route, un petit détachement de policiers assistent aux événements, impuissants. Pas très stressés pour autant, ils prennent docilement la pose devant notre objectif alors que les guerriers peints ne nous ont pas permis d’en faire autant. Ils ne craignent pas vraiment les débordements puisqu’une guerre de clan n’implique que les hommes des clans concernés. Autour, la vie suit son cours dans le village de Gusap, les commerces sont ouverts et personne ne montre un quelconque signe d’inquiétude. Les locaux qui nous expliquent la situation font parti de clans différents et sont aussi peu concernés par la guerre en cours que nous. Tous nous assurent que nous ne craignons rien si nous continuons notre chemin.
Les événements se déroulent lentement et personne n’a l’air motivé à aller se faire charcuter. Nous sommes déjà arrêtés depuis une heure et nous devons repartir pour trouver un campement avant la nuit. Au moment de les quitter, je m’arrête à l’écart du groupe de Papous armés et braque mon appareil sur eux avec une certaine appréhension suite à leur premier refus. Tous se rejoignent et brandissent leurs armes en criant, comme pour se donner du coeur à l’ouvrage.
À la suite de cette inhabituelle journée et quelques 150 km supplémentaires, un streptocoque écourtera notre séjour en PNG en squattant le genou de Grégory. On ne saura pas s’il vient des rivières qui nous ont servi de douche ou du bateau où nous dormions par terre. Une micro coupure suffit. Nous croyons au départ à une inflammation quelconque, jusqu’à ce que le genou prenne un volume démesuré et que la jambe ne plie plus. Nous sautons dans deux avions d’affilée et dormons dans leurs aéroports respectifs avec la bénédiction du personnel. Les Papous n’en finissent pas de nous étonner lorsque nous arrivons au premier aéroport avec trop peu d’argent pour nos deux vols et qu’il n’y a ni change ni distributeur à moins de 40 km. Après leur avoir montré notre maigre reste de kinas, ils nous dirent simplement « Donnez moi ce que vous avez et c’est bon ».
L’aéroport de Port Moresby fermait la nuit et nous devions prendre un vol le lendemain. Le premier gardien nous a donné sa bénédiction pour dormir à l’intérieur et nous a fait faire le tour du propriétaire au pas de course. Quelques minutes plus tard il appelait un ami chauffeur pour m’emmener faire des courses en ville. Grégory et moi étions tous les deux malades en plus de l’infection du genou. Une employée de nuit prit pitié de nous et nous rapporta petits gâteaux et boissons.
Je termine sur ces faits anodins car la générosité des Papous est ce qui représente le mieux la Papouasie Nouvelle Guinée. Les locaux ne sont pas intéressés par votre porte monnaie mais par vos histoires. La nature leur donne presque toute la nourriture dont ils ont besoin et le reste nécessite peu d’efforts. Une vie sans grandes distractions, mais simple et douce. Pour les intéressés, n’hésitez plus, les locaux vous adopteront et vous considéreront comme l’un des leurs.