Le douanier ce héros
S’il est un personnage avec qui l’on ne peut faire sans pendant un tour du monde, c’est bien le douanier. Fidèle au poste, épaulettes lustrées, sa silhouette ne souffre aucun doute : il est temps de montrer patte blanche. Grâce à lui, le passage d’une frontière terrestre est systématiquement un moment particulier, une tradition attendue, redoutée pour certains, comiques pour d’autres.
Il y a de moins en moins à dire sur l’Europe. En ce qui nous concerne, les douanes italiennes et slovènes n’étaient déjà plus, à peine marquées d’une plaque commémorative ou d’un poste frontière à l’abandon. Que sont devenus ces fiers gardiens intra-Shengen ? Reclassés aux archives ?
Non loin de là, le douanier croate continuer d’oeuvrer avec sérieux et se contente du traditionnel coup de tampon, 10 secondes top chrono. Le Bosniaque fait dans l’économie d’encre quand le Serbe sort les bottes et le révolver d’apparat, toujours dans un rôle de cow-boy tamponneur. Le Roumain, plus sérieux, demande si vous ne seriez pas à tout hasard en train de tenter de passer un produit illicite à vélo et vous croit sur paroles. Ouf ! Quel fin limier ! Le Moldave insiste pour savoir où vous habitez, précisément. Même si le village dont il n’entendra plus jamais parler ne correspond plus aux renseignements du passeport. Nouvelle leçon de douane : une fausse information vaut parfois mieux que pas d’information. Vous pouvez dire à peu près n’importe quoi à un douanier, il est rarement assez professionnel pour vérifier vos dires.
Cette règle ne semble pas s’appliquer aux chauffeurs poids-lourds dont les véhicules forment systématiquement un longue file d’attente de plusieurs heures dans le meilleur des cas, et entraînant les coûts qu’on peut imaginer…
Le douanier de Transnistrie a vu en nos passeports deux bonnes raisons de prendre un peu sur son temps précieux et de nous questionner entre deux wagons, à l’abri des regards innocents. Ainsi, après nous avoir signalé que nous n’étions pas en règle en l’absence de tampon de sortie moldave (la Moldavie ne reconnaît pas cet État et considère que nous n’avons pas quitté le territoire…), il nous est demandé un « small present » pour récupérer nos papiers juste avant que le train reparte. Cinq euros seront nécessaires pour tuer dans l’oeuf ce flux migratoire illégal. La Transnistrie remercie son héros.
En Russie, c’est un silence de mort qui accompagne la montée des agents tamponneurs dans un wagon, indiquant que la crainte de l’uniforme ne s’est pas effondrée avec le reste. Malgré leur contrôle rigoureux, notre fausse invitation pour rentrer en Russie ne les intéresse pas, ils espèrent sans doute attraper de plus gros poissons. En Mongolie, on ne transige pas avec la quarantaine. Il faut acheter un ticket au but incertain sous peine de ne pas revoir la couleur du passeport. Ou alors, la tentation de défier un douanier est plus forte que vous, et vous décidez de patienter 2h pour économiser 50 centimes, le temps qu’ils craquent. C’est parfois une question de principe. Cette règle est valable pour la plupart des pays d’Asie du sud-est, notamment Laos et Cambodge.
La frontière chinoise fut sans doute la plus éprouvante. Obligés de traverser en jeep dans un style plus proche du stock-car que de l’embouteillage, le passage au compte goutte nous fera perdre près de cinq heures pour scanner nos sacs. Tous les faux documents fournis à l’ambassade (attestation de travail, billets d’avion, preuves d’hébergement) ne sont en rien responsable de ces délais puisque rien n’a été vérifié. Il aurait pourtant suffit d’un coup de fil à n’importe quel hotel mentionné ou plus simplement de lire pour voir que la signature de Barrack Obama ne correspondait pas au nom de mon supérieur, Gérard Bouchard.
Le douanier Viet est le plus « arrangeant » de tous. Il s’improvise banque d’échange de devises en un éclair, à un taux défiant toute concurrence. Il connaîtra du même coup le montant dont vous disposez, afin de régler les différents frais dont le calcul des charges reste à sa discretion. Dans le doute, ne jamais avoir un seul centime en poche. Officiellement. Et faire semblant de ne pas comprendre les petits papiers plein de chiffres que l’on vous tend.
Enfin, il est une question commune à l’ensemble des douaniers : « pourquoi venez-vous chez nous? » comme si la réponse conditionnait votre entrée sur le territoire alors qu’il est en train de parcourir votre « visa touristique ». Pour le logement, un nom d’hôtel bidon, voire un nom de ville au hasard suffit a priori à contrôler vos déplacements. Et l’Australie possède aussi des coutumes bien à elle.
Voici donc le rôle déterminant du douanier, que nous aurons vu berné par un simple chauffeur de bus chinois, dissimulant des téléphones portables sous le faux plancher, qui crée des files interminables de poids-lourds, ralentit les transports, entraînant des coûts dont tout le monde se passerait bien. Le gardien des frontières, premier rempart contre les invasions de toutes sortes, a-t-il un seul avantage ?
Que gagne-t-on à voir nos passeports coloriés ? À devoir répondre aux questions les plus imbéciles ? À perdre des heures, des jours, à attendre qu’un tamponneur veuille bien accepter que nous poursuivions notre route ? Connait-on un seul trafic qui ait cessé grâce à ces héros en uniforme ?
Il y a plus d’un siècle, Bastiat avait déjà senti l’arnaque (et encore, en supposant le douanier honnête) : Vraiment, je me demande comment il a pu entrer assez de bizarrerie dans nos cervelles pour nous déterminer à payer beaucoup de millions dans l’objet de détruire les obstacles naturels qui s’interposent entre la France et l’étranger (NDR : construction de routes, chemins de fer, ponts, etc.), et en même temps à payer beaucoup d’autres millions pour y substituer des obstacles artificiels qui ont exactement les mêmes effets, en sorte que, l’obstacle créé et l’obstacle détruit se neutralisant, les choses vont comme devant, et le résidu de l’opération est une double dépense.
Contre les envahisseurs, la France avait Maginot, le monde a ses douaniers.