Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l’ivresse
Après deux ans d’Australie il n’est pas vraiment facile de vous parler du pays puisque nous étions rentrés temporairement dans la vie active et n’avons que très peu bougé. C’était surtout l’occasion de renflouer les caisses et du coup, de faire un peu le point sur ce qu’on a vécu jusqu’ici. Ça, ce n’était pas vraiment prévu en arrivant mais les souvenirs d’un an et demi sur les routes rejaillissent trop souvent pour ne pas voir ce qui a changé.
Alors que le projet mûrissait depuis des années, je me demandais les premiers jours du voyage ce que j’étais en train de faire, quel sens ça pouvait bien avoir. Tout en voulant absolument poursuivre, je ne savais pas trop ce que ça allait m’apporter. Ce sentiment a été à son paroxysme juste après la descente des Alpes jusqu’à complètement disparaître en quelques semaines. Au bout d’un mois j’ai vraiment su que j’avais raison de voyager quand justement, je réalisais que cela ne faisait qu’un mois alors que j’avais l’impression d’être parti depuis des années. Comment avais-je pu passer à côté d’un truc pareil pendant toutes ces années de routine? Le temps semblait ralentir pendant que je voyageais, j’étais quasiment capable de dire ce que j’avais fait chaque jour du mois précédent alors que j’ai l’habitude de ne pas me souvenir de la veille.
Jamais le même lit, la même ville, le même restaurant aux tables collantes (mais souvent le même plat), les mêmes paysages, habitants, langages, cultures, comportements, etc. Toutes nos habitudes sont bousculées quotidiennement. On découvre plus de choses en deux mois que les 20 années précédentes et ça envoie quand même un sacré électrochoc. On ressent régulièrement cette sensation lorsqu’on contacte les personnes restées en France : alors qu’on pourrait s’étaler pendant des heures sur ce qu’on vit, on se rend compte de ce qu’était notre ancienne vie, et maintenant, ça me fait peur. J’aurais pu rester en France dans mon dernier boulot, à 2000€/ mois. On m’a dit que c’était une bonne main pour un début de carrière, je n’y ai pas cru et j’ai tenté d’y aller au culot. Résultat, je me retrouve à avoir parcouru l’Europe, l’Asie, l’Océanie et très sûrement plus de chiffres sur mes comptes que si j’étais resté pendant tout ce temps là dans mon dernier emploi (entreprise qui depuis a viré le directeur d’agence et a connu la démission de nombreuses personnes… si c’est pas un signe ça?). Si je n’ai jamais été attaché à la sécurité de ma situation, je comprends que certains se soucient de la leur (un minimum hein, je parle pas de ceux qui rentrent dans la fonction publique dans ce but. Là on peut pas discuter) mais je ne crois pas pouvoir un jour rentrer dans ce cadre, surtout après un tel voyage. Je ne fais plus parti de ce monde là. Et puis les séjours au Laos et en Papouasie notamment, même si j’ai adoré le temps que j’y ai passé, m’ont confirmé que le manque d’initiatives et de changements est rapidement ennuyeux. En bref, les plans de carrière, le salariat et les communautés de décroissants, ça me fout les miquettes. J’ai besoin d’aventures, de risques, d’imprévu et un milieu où je ne peux pas me permettre de juste attendre bêtement que la journée passe.
Évidemment, on peut aussi se viander méchamment, c’est la vie. L’important c’est au moins d’essayer.
Voici un film que j’adore, que j’ai vu et revu sans me lasser, L’homme qui voulut être roi, avec Sean Connery et Michael Caine (le film préféré des deux acteurs, c’est dire s’il vaut le coup d’oeil vue leur filmographie respective). C’est l’histoire de deux aventuriers, anciens soldats de l’Empire britannique en Inde qui décident de partir au Kafiristan pour y devenir rois, avec la b… et le couteau comme on dit. Ils tiennent ce dialogue alors qu’ils s’apprêtent à mourir gelés en montagne :
-Peachy, je voudrais ton opinion. Est-ce que nous avons vécu bêtement?
-Eh bien ça dépend de ton point de vue. Je ne dis pas que le monde soit devenu meilleur de nous avoir vu naître.
-Ce serait exagéré.
-Et pas une larme ne coulera à l’annonce de notre trépas.
-De toutes façons je ne veux pas qu’on pleure.
-On a pas tellement de bonnes actions à notre crédit.
-Non. Pas de quoi se vanter.
-Mais combien d’hommes sont allés où nous sommes allés, et ont vu ce que nous avons vu?
-Pas tellement, c’est indubitable.
-Même maintenant, je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur mon passé.
-Moi non plus.
Aujourd’hui je ne sais pas ce que je ferai plus tard, quand cela s’arrêtera, où et comment je vivrai, je suis loin de tout ce que j’ai connu, et même dans le pires moments de galères je ne changerais pas de place avec le vice-roi en personne s’il me fallait cracher sur ma situation.
Bref, c’est bon l’aventure.