Sans portables ou internet pour se recontacter en cours de route, nous avions convenu de retrouver Alex quatre jours plus tard dans l’après-midi à la gare de Taraz au Kazakhstan, soit 300km après Tashkent. Pour resituer un peu le contexte, Alex vient de quitter temporairement Katerina, une Chilienne débusquée lorsque nous étions tous les deux au Costa Rica il y a 7 mois et qui depuis l’accompagnait en vélo en Europe (l’amour fait pousser des ailes jambes) et j’avais depuis parcouru l’Afrique, le Moyen Orient et rejoint Florian, en Iran, un copain rencontré il y a deux ans en Australie pour la suite du voyage. Voilà, j’espère que ça vous parle un peu plus.
Notre premier jour dans le pays allait immédiatement donner le ton des 10 prochains: il pleuvait. Heureusement, nous allions aussi très rapidement bénéficier de la même hospitalité qu’en Ouzbékistan : cherchant à faire le plein des bouteilles d’eau sur un chantier de construction avant de partir camper, le gardien m’indiqua sans même que je lui demande où nous passerons la nuit. Il semble que nous ne risquions encore pas grand chose dans ce pays à part un bon coup de froid. Un froid d’abord assez bien venu pour les jambes brûlées de Florian qui le fatiguaient pas mal, mais qui, associé à la pluie, s’avéra vite être un enfer pour deux cyclistes sous équipés. Tous les cyclistes rencontrés dans le coin ces derniers mois semblaient s’auto-rassurer sur la vague de frais à venir en décrivant le matériel léger que chacun avait prévu. Et tous, nous compris, répétaient en coeur « Ça va le faire. » Ben voyons…
J’avais ressorti pour l’occasion les sacs plastiques scotchés autour des pieds pour étanchéifier les chaussures mais il fallut bien admettre après trois jours de frissons que nos deux corps pétrifiés n’arriveraient pas à temps au rendez-vous, malgré quelques offrandes culinaires locales. Le froid, la pluie, le vent des plaines kazakh, les corbeaux noirs qui volaient au raz des champs ternes, rien ne de positif ne pointait à l’horizon. Le train, après renseignements à la gare d’un petit bled, arrivait trop tard. Ça sera donc le stop et sans surprise, nous n’attendions pas plus de 20 minutes avant de trouver un break qui acceptait de charger vélos, bagages et nos deux carcasses tremblantes jusqu’à Taraz où nous retrouvions Alex, sous la pluie.
Le lendemain, nous foncions sans plus attendre au bazar de la ville s’équiper en vêtements chauds, bottes de neige et chaussettes de laines afin d’affronter les prochaines épreuves avec un peu plus de sérénité. Et nous voici partis pour le Kirghizistan et ses sommets enneigés. Quand on est con…
Le surnom du Kirghizistan est « la petite Mongolie » à cause des paysages, et nous avons eu l’occasion de constater à plusieurs reprises à quel point ce sobriquet était justifié. Les paysages sont superbes, comme sa grande soeur ; et les habitants, ici comme là-bas, nous ont déçu. À plusieurs reprises nous avons ressenti l’hostilité locale à notre égard et ça aurait parfois pu mal tourner. Dès le premier jour, une bande de jeunes célébrant un mariage au bord d’un barrage, où un énorme portrait de Lénine est sculpté dans la montagne, nous invite d’abord à boire un peu de vodka, danser avec eux, avant de partir en vrilles, jeter les lunettes de vue de Florian en contrebas, me voler mon compteur et devenir carrément agressifs. Tout s’est bien terminé mais nous nous sommes immédiatement fait la réflexion « ouais… comme la Mongolie… »
Un autre soir dans un bar de Bishkek (la capitale), un type un peu bourré commence à nous provoquer puis finit par mettre une claque à Alex avant de partir. Oui bon, ce n’était qu’un mec bourré mais les types saouls au Kazakhstan ou en Ouzbékistan ont toujours été super cools. Il faut admettre que nous avons aussi rencontré des gens sympas comme partout mais bon, les « coïncidences », les regards des gens, leur façon de vous adresser ou non la parole, toutes leurs petites arnaques un peu plus fréquentes que leurs voisins des « -stan », au bout d’un moment, ça ne trompe plus : il y a plus de cons au Kirghizistan. Tout est une question de proportions.
Avec le temps et l’habitude du voyage, je me suis rendu compte qu’on arrivait en un clin d’oeil à dire si un pays sera sympa ou non. La première impression était la bonne 99% du temps (cf. Blink de Malcolm Gladwell). Depuis quelques mois, je pensais que nous avions peut être mal réagi il y a quatre ans avec les Mongols et qu’un nouveau voyage là-bas serait sans doute différent. Aujourd’hui, je ne me fais pas d’illusion : ces gens ne sont pas compatibles avec moi. Et je dis ça sans amertume, je constate. En sens inverse, je croyais aussi avoir un peu idéalisé les Russes à l’époque mais plus j’en rencontre et plus je réalise à quel point je me sens bien avec ce peuple. D’ailleurs je crois que ce n’est pas un hasard si notre Gérard national s’y sent bien. Et il suffit de dire « Я француз » (ia frandsous – je suis Français) pour entendre « Aaaaah Depaldieu!« , tous les russophones l’adorent.
Ce qui nous a aussi surpris dans ces pays est à quel point ils connaissent la politique française, ils sont même parfois plus au courant que nous trois. Alors pour résumer leur point de vue : Chirac était très bien, Sarkozy peut mieux faire, l’actuel dont ils ne savent pas le nom est un nul et il faudrait voter Marine Le Pen (oui oui, ils la connaissent, je sais pas pourquoi…). Ça nous aura permis de rigoler à plusieurs reprises, maintenant vous en faites ce que vous voulez…
Bref, ça ne nous a pas empêché de nous faire plaisir en vélo à parcourir la campagne kirghiz. La route depuis le Kazakhstan sillonnait les montagnes enneigées dans un décor assez délicieux, et la neige, encore une fois venue contrarier nos plans, a tout de même grandement contribué au tableau. Dès le deuxième jour, à 1500m de haut, de grosses chutes de neiges nous obligèrent à déblayer l’emplacement des tentes sur 10cm pour éviter de s’installer sur un lit trop humide par -10˚C. Ça n’a visiblement pas suffit pour moi qui ai passé la nuit à trouver des solutions pour limiter les dégâts d’un sac de couchage mouillé et trop usé par le voyage.
J’ai dormi environ 3h et suis longtemps resté prostré sous ma tente en attendant un miracle qui n’arrivera pas. Mes compagnons n’avaient pas non plus passé la nuit de l’année et les montées du lendemain matin furent trèèès longues. Il n’y avait bien que la vue derrière nous, une fois les nuages dépassés qui pouvaient nous remonter le moral. L’après-midi fût un poil plus énergique et nous finissions par atteindre le sommet enneigé à 3300m en fin d’après-midi où une longue file de camions restait bloquée par la gadoue blanche et le verglas malgré leurs efforts de pelletage. Nous trouvions plus tard un refuge pour la nuit dans une auberge 10km en contrebas pour un prix raisonnable mais annoncé à la tête des clients. Ils n’ont pas trop abusé, disons que c’est de bonne guerre.
Le lendemain, rebelote pour une deuxième virée en montagne mais sous un soleil étincelant toute la journée. Intrigués par les nombreux stands de pacotilles le long de la vallée, nous avons fini par acheter un litre de lait de jument fermenté (le koumis) et de petits fromages forts, deux machins bien locaux. J’ai pu mangé les petites boulettes mais personne n’a voulu prendre une deuxième gorgée de l’affreux liquide, même pour le sport.
À l’embranchement d’un village, une faucille et un marteau rouillés reposent en face du panneau de Soussamir, le village menant au lac de Song Kul, à 3000m de haut. Nous passons tout droit sans regrets, nous avions unanimement pris la décision après les efforts de la veille d’abandonner l’idée de se rendre là-haut et d’y camper. Nous n’étions ni prêts, ni suffisamment équipés pour ce genre d’expédition et notre route s’arrêtera donc à Bishkek. Après un nouveau col à plus de 3000m, une nuit dans les barraques des cantonniers locaux et 120 km de vélo plus tard, nous voici arrivés à notre dernière destination à trois car Alexandre a finalement décidé de stopper le voyage ici et de retrouver une vie plus sédentaire avec sa chérie rencontrée au cours de ce voyage. Pas besoin de lui demander ce qu’il retire de positif de ce périple de quatre ans autour du monde.
Plus tard, les deux derniers singes s’en iront défier les plaines de Sibérie. Mais avant cela, nous ne manquerons pas de nous ressourcer au bania (le sauna/bain public russe), une tradition que je compte bien rapporter avec moi en France.
Les deux singes ont enfin trouvé l’hiver!