Deux Singes en Hiver – le livre !

26 mai 2011 – 13 février 2016, deux dates qui marquent les bornes de départ et d’arrivée d’un tour du monde qui changera à jamais notre vie. En quittant Saint-Étienne-sur-chalaronne en direction des Balkans et de l’Asie, nous ne savons ni combien de temps nous partons, ni ce que nous allons trouver en chemin. Tout juste avons-nous une vague idée de direction jusqu’en Australie et une volonté de suivre les saisons. Le vélo n’est pas notre truc. Le camping non plus. Le stop est un domaine quasi-inexploré et seul un anglais scolaire fait partie de notre répertoire linguistique. Mais nous partons, la soif de découvertes chevillée au corps et les jambes prêtes à souffrir.

deux singes en hiver

Les premiers coups de pédale hésitants, les défis des premiers mois se limitent à la découverte d’un mode de vie inhabituel et de cultures inconnues qui bouleversent nos petits usages d’Occidentaux sédentaires. L’accueil des Slaves, les immensités mongoles, les chinoiseries, la pauvreté, les folles nuits d’Asie, les soirées sous la tente, ou encore la bienveillance des clans papous rythment une première partie de voyage qui n’en finit pas de nous chambouler.

Arrivés en Australie après 14 mois intenses, nous redescendons sur terre le temps de renflouer les caisses. D’abord partis pour rester un an, nous prenons goût aux travaux publics et au dollar australien, et décidons de vivre une année supplémentaire dans un désert bouillant et hostile, jusqu’à créer une entreprise chez les rednecks. Mais le manque de voyages finit par nous tenailler et le départ devient rapidement inéluctable.

Le cuir endurci par cette expérience, nous filons alors vers la Nouvelle-Zélande en plein hiver, puis vers les Amériques. De San Francisco à Bogotá, se dressent Las Vegas, le Grand Canyon, les plages du Pacifique, les tarentules, les bandits du Guatemala, les vautours, la jungle, les paresseux, mais aussi l’amour, qui finit par nous séparer au Costa Rica. Tandis que l’un s’envole pour l’Europe avec sa compagne, l’autre traverse l’Afrique chaleureuse, le très conservateur Moyen-Orient, avant de se retrouver tous les deux sous la neige des montagnes d’Asie centrale. Le retour via la Sibérie et l’Europe de l’Est en plein hiver n’est alors plus qu’une formalité pour des voyageurs désormais aguerris aux joutes du vélo, et riches d’une expérience de cinq ans autour du globe.

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Aujourd’hui réinstallés en France avec une toute nouvelle vision du monde qui nous entoure, nous avons souhaité partager cette expérience inoubliable avec vous. Après plusieurs mois d’écriture et de relecture, nous sortons un livre relatant notre voyage, nos rencontres, nos aventures, enrichi de cartes et de photos pour vous immerger dans le récit. Nous vous laissons découvrir sur le lien ci-dessous les autres bonus prévus dans et autour du livre que vous pouvez acquérir pour 15€ du 31 janvier au 3 mars sur le site de Crowdfunding Ulule.

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https://fr.ulule.com/deux-singes-en-hiver

À très bientôt au cœur de notre voyage !




Le retour, ou la hantise du voyageur

La tête dans les étoiles

Le retour de voyage, ce moment tant redouté par les backpackers de plus en plus nombreux à travers le monde. Combien de voyageurs rentrent la mélancolie plein les tripes avec pour seule ambition de se casser le plus rapidement possible? Depuis bientôt deux ans que nous sommes rentrés de notre tour du monde, beaucoup nous demandent si nous n’avons pas le mal du voyage, l’envie de repartir faire un petit tour dans quelques contrées encore non explorées. Et la réponse en surprend plus d’un : « Pas vraiment, non. »

En 5 ans de voyage, nous avons eu le temps de cogiter de longues heures sur notre avenir, sur un éventuel retour, ou alors s’installer définitivement dans un pays. Au bout de quelques mois, les mirages asiatiques, Bangkok en tête, nous tendaient les bras. En 2013, nous étions à deux doigts de demander un visa permanent australien avant de découvrir une mentalité qui ne nous convenait pas. Un an plus tard, le rêve américain nous faisait chavirer. Et finalement, nous sommes rentrés en France, plutôt très contents de retrouver nos racines.

C’est en 2015 que l’idée de revenir définitivement s’est installée. Finalement, la France n’était pas si mal comparée à la moyenne. Et si l’herbe est parfois plus verte ailleurs, la pelouse française mérite encore qu’on s’y allonge. Redoutant ce retour après tant d’années d’indépendance et d’exotisme, je savais que je ne devais surtout rien regretter. Déjà, la soif de découvertes avait disparu et je commençais à ressentir une certaine lassitude à changer d’endroit en permanence, à ne jamais rien pouvoir construire sentimentalement et financièrement.

Il restait simplement à vivre les derniers mois d’aventures pleinement, et cela signifiait de me lancer un défi physique permanent jusqu’à l’arrivée, pour finir lessivé et être sûr de ne pas avoir pu faire plus. Parce que les regrets viennent de là : penser qu’on a raté quelque chose. Après la traversée du désert dans la péninsule arabique, mon retour depuis la Russie en hiver s’est déroulé dans des conditions chaotiques entre la neige, la pluie, la grêle, le brouillard et le vent de face. Plus les conditions empiraient, plus je devais forcer pour boucler ce périple, et plus je pensais que cela faciliterait mon adaptation après le retour. Je finissais au mental et dans de merveilleuses souffrances un voyage de 5 ans pourtant plus souvent placé sous le signe de la balade que du marathon. Mais à l’arrivée, je sais que j’avais poussé mon corps dans ses derniers retranchements et que je ne pouvais faire plus.

… et les pieds sur le carrelage

Alors aujourd’hui, quand je me tourne vers ces cinq années, je vois un voyage abouti qui a su trouver sa fin, et une expérience sur laquelle s’appuyer pour avancer. Le voyage a été une étape, un moyen de s’épanouir et de se lancer dans une nouvelle épreuve. Cette épreuve se nomme Donga, un négoce de matériaux en ligne spécialisé dans le carrelage pas cher. Fini les écritures de livre, les conférences et les récits de voyage, notre réalité est désormais du domaine de la céramique, parce que c’est désormais cette aventure qui nous excite.

Même si, dans un coin de nos têtes, l’échappée n’est jamais plus très loin.




Fin de la promenade

Depuis Sattledt en Autriche, il me reste 13 jours et 1100 kilomètres à parcourir pour rentrer à bon port après presque 5 ans de voyage. Une formalité.

Dans la campagne autrichienne, les odeurs de lisier me rappellent la France et je prends plaisir à traverser les paysages vallonnés d’Autriche. J’essaye de profiter un maximum de mes derniers instants de pédalage, de calme. J’atteins rapidement les lacs du Salkammergut, Salzburg et la frontière allemande sous une belle météo. On m’avait dit de prendre mon passeport à la frontière à cause des contrôles mis en place pour maîtriser les flux d’immigrés, mais les trois flics se sont contentés de me regarder passer en Allemagne. Comme ils l’ont fait avec les autres voitures d’ailleurs.

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J’avais jusqu’ici eu droit à un léger vent de face et quelques averses mais la Bavière marquera le départ d’une dernière épreuve physique. Dès mon premier réveil, le temps est à gerber. Je passe le seuil des 40 000 kilomètres en vélo dans la matinée, sous la neige. En arrivant le soir à Weilheim, je me paye une bouteille de Talisker 10 ans d’âge, autant pour fêter mes 40 000 rugissants que pour oublier cette journée bien merdique. Un très bon achat compte tenu des jours qui vont suivre. Je pensais régulièrement que ça ne pouvait pas être pire et le lendemain me donnait irrémédiablement tort. De la pluie, de la neige, et un vent de face impressionnant ne me quitteront plus. De plus mes articulations sont saisis par le froid et je me trimballe une paire de genoux extrêmement douloureuse. Pratique quand on pédale.

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Je suis également trahi par mon matériel. Après les avoir changés à Budapest, les plateaux sont de nouveau foutus. Je me suis fait enfler par le vendeur. À 700 kilomètres de l’arrivée, je dois encore claquer 120 balles en matos neuf. Ce soir là, je décide de rouler un peu de nuit pour avancer, mais le passage d’un col enneigé me fait chuter à plusieurs reprises dans la poudreuse. C’est très dur de se sentir impuissant, alors je m’invente un Dieu des éléments, pour l’insulter quand je peine trop. À force, c’est devenu un jeu. Du vent? C’est pas ça qui m’empêchera de pédaler, c’est tout ce que t’as dans le pantalon?! Parfois, il m’entend et redouble de puissance, et ça me motive encore plus à lui tenir tête.

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Ma traversée de l’Allemagne jusqu’à Constance n’est qu’un défi physique de quatre jours. Déjà que l’excitation du départ est largement retombée, et que me farcir la description d’un paysage asiatique me broute déjà, que dire d’un paysage allemand sous la pluie? Voilà, vous savez ce que j’en pense! Arrivé à Constance, je ne vois même pas le lac à cause d’un brouillard épais. C’est à peine si je distingue le ferry que nous croisons pendant la traversée.

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Je passe la frontière Suisse sans plus de contrôle que la précédente. Cette fois, le poste est même carrément abandonné. J’ai toujours tendance à penser que le passage d’une frontière amènera beaucoup de changements et j’ai l’espoir secret que la météo suivra. Et effectivement, pendant mon séjour suisse, j’ai aussi eu droit à la grêle. Au passage du lac de Morat, un panneau du supermarché Lidl est écrit en français. On me parle en français. J’ai presque du mal à trouver les mots tant il ne me semble pas naturel de parler aux autres dans cette langue. Après Lausanne, j’aperçois même un bout de France. Ça fait tout drôle même si je n’arrive pas encore à réaliser que tout ça se termine dans quelques jours.

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Mes premiers mots de français

Mes premiers mots de français

Je m’excuse au passage auprès des Suisses que j’ai passablement injuriés sur mon vélo (en plus de mes habituels blasphèmes) lors d’une journée très éprouvante. Les pauvres n’y étaient pour rien mais ça m’a aidé à avancer. Et pourtant, ils sont parmi les gens les plus sympas que j’ai croisés en Europe, surtout dans la partie francophone. Ce qui m’a surpris car d’une manière générale, les populations les plus riches sont un peu moins hospitalières, trop renfermées dans leur petite vie sécurisée. C’est un trait global que j’ai observé pendant le tour du monde. Régulièrement, l’un d’eux s’arrête pour me proposer son aide, surtout quand je répare mon pneu arrière, complètement HS. Un déménageur Suisso-colombien fait halte le long du lac Léman en me voyant siroter mon Talisker. Lui aussi a voyagé en vélo. Après une courte discussion, il me sort 20 Francs suisses du portefeuilles, pour mon prochain repas, et parce qu’on l’a aussi beaucoup aidé quand il était en vélo. Alors il en fait de même.

Mon pneu lâche définitivement à l’entrée de Genève, à 150km de l’arrivée. Et alors que je roulais depuis un moment avec la chambre à air qui sortait et depuis dix minutes avec des rembourrages de pneus coupés et de bâches plastique, je tombe sur un magasin de vélo un peu bordélique qui ne s’est pas encore pris pour une marque de luxe. J’explique ma situation et demande au vendeur s’il n’a pas balancé un pneu d’occas’ récemment. Le type fouille un peu et ressort avec un pneu qui aurait un défaut. Va pour le défaut!

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Depuis Lausanne, je suis dans mes pensées, dans mes souvenirs et je ne regarde pas autour de moi. Je profite simplement des éclaircies passagères pour souffler un peu. Je ne sais pas si je suis content de finir. C’est difficile d’arrêter cinq ans de voyage du jour au lendemain, mais j’ai besoin de nouveaux challenges, de construire quelque chose. J’en ai marre d’être un vagabond.

Je campe une dernière fois juste avant la frontière française qui n’est plus que symbolique puisqu’il n’y avait pas de douaniers non plus à Chancy. Je croyais que le président avait annoncé qu’on surveillerait les frontières. Mais depuis l’Ukraine, personne n’a daigné regarder mon passeport.

Département de l’Ain. Tiens, le logo du conseil général est toujours aussi pourri. Je suis choqué par la saleté le long des routes dans le Bugey. On dirait que tout le monde s’est donné le mot pour balancer des merdes sur les accotements. J’ai tellement braillé contre la saleté des Centro-Américains, contre les Mongols qui salopaient leurs steppes, les Chinois ou les Laotiens avec leurs rivières, les Indonésiens avec la mer… il faut que je revienne en France pour voir ça. Ça fout un peu les glandes, surtout que c’est un joli coin. Du coup, j’ai payé une rasade de whisky au seul type de la DDE qui nettoyait pendant que les autres discutaient. Certaines choses ne changent pas.

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Mon avant dernier jour. Il neige, rien ne me sera épargné. Tant mieux il se passe des choses. Je parcours les cinquante kilomètres qui me sépare de chez Martin, un ami qui m’avait rejoint lors de mon passage en Thaïlande il y a quatre ans. Je suis un peu en avance et me fais payer l’apéro par ses voisins en l’attendant. Il me reste encore cinquante kilomètres à parcourir demain mais je me fous un peu de l’état dans lequel je vais arriver. Alors on s’est saoulés et couchés à deux heures du matin.

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Après un litre de Red Bull, je reprends la route sous un beau soleil. Il est onze heures, je croise quelques camionnettes de putes dans la campagne et passe des villages que je n’avais encore jamais vus, à trente kilomètres de chez moi. Je réalise à ce moment là que je pestais souvent contre des locaux qui ne savaient pas m’indiquer une direction près de chez eux. Je serais tout aussi con aujourd’hui si un cycliste venait me demander la route de La Tranclière ou de Lent.

À l’entrée de Dompierre sur chalaronne, à cinq kilomètres de chez moi, mes pensées sont concentrées sur le fait de trouver un platane pour pisser une dernière fois avant de revoir tout le monde. Tiens, un cycliste en face. Puis deux, quinze, trente, j’en sais rien. Je suis rapidement entouré de la famille et des potes. Comme je ne sais pas par où commencer, je reste au milieu à servir des verres de whisky. Je découvre tellement de visages sous les déguisements que je ne réagis même pas quand j’aperçois Kristian, un ami Danois rencontré au Laos et venu spécialement de San Francisco. Dennis, un allemand rencontré dans les mêmes circonstances a aussi fait le déplacement. C’est génial! Bref, je ne cite pas tout le monde mais je ne sais pas trop quoi dire et où regarder. Au journaliste qui me demande pourquoi je suis rentré, j’ai d’abord répondu « J’en ai plein le cul« . Là, je pense juste à rejoindre le reste de la troupe à la maison et notamment mes parents et grands-parents. Et puis bien sûr à me débaucher jusqu’au petit matin.

Parce que c’était le voyage de Deux singes en hiver, pas Nature et découvertes!

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Ça sent la fin

Le train me dépose à la gare de Budapest de nuit après un voyage détendu de neuf heures depuis la frontière ukrainienne. Je dois désormais me mettre en quête d’une auberge de jeunesse pour y déposer mon barda quelques jours et effectuer les réparations qui s’imposent (pédalier et porte-bagages en mille morceaux). La chance me poursuit inlassablement puisque la seule adresse que j’avais est complète et qu’au moment où je l’apprenais à l’interphone, la fixation de ma selle se brise en deux, balançant violemment tout l’arrière du vélo sur le trottoir. Vite, une pensée positive de la situation pour pas s’énerver…. « Au moins, c’est pas arrivé en roulant. »

Je trouve finalement un dortoir accueillant où se mêleront pendant mon séjour cinq touristes algériens effrayés par la nudité possible dans les établissements thermaux, des immigrants serbes, des travailleurs hongrois, quelques cas sociaux intéressants et le meilleur d’entre tous pour la fin : un catholique extrémiste partisan des thèses reptiliennes et recherchant avec passion un refuge dans un lieu gardé secret pour passer l’apocalypse qui ne saurait tarder sans encombres. Ceci n’est pas une blague, ce genre de types existe donc bel et bien.

Dès le lendemain de mon arrivée, direction les magasins de vélo de la ville où je ne peux m’arrêter plus de quatre jours puisqu’on m’attend de pied ferme à la maison dans un mois! On me refile quelques pièces chinoises de mauvaise qualité au prix du Shimano en Asie et je bricole à la va-vite les autres problèmes pour finir les 2000 kilomètres restants sans risquer le gouffre financier. Car Budapest n’a pas échappé au phénomène de gentrification des villes occidentales. En cinq ans, j’ai l’impression qu’acheter un tee-shirt moins de 15€ revient à se classer dans la catégorie des vagabonds sans le sou. Tout ce qui est peu cher est mal vu, les boutiques de toutes sortes se tirent la bourre pour être toutes plus luxueuses les unes que les autres pour vendre les mêmes choses qu’avant deux fois plus cher, et tous les gens qui aimeraient bien avoir l’air comme disait Brel s’y engouffrent avec plaisir avant de méditer sur la société consumériste en rentrant chez eux. Pas de doute, je suis bien de retour en Europe.

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Le plus drôle est quand on découvre, au coin d’une rue, un petit bar qui tente une ambiance campagnarde, un peu sauvage et que tout sonne faux car à y observer de plus près, tout est finalement bien à sa place : le poêle est à distance réglementaire et six extincteurs le cernent de près. L’ambiance d’un tripot exotique ne pourra jamais sortir d’un esprit trop aseptisé. C’est comme si on avait mis une énorme ceinture de sécurité aux villes occidentales pour que plus rien d’anormal ou d’incontrôlable ne puisse se produire. Bref, où est le bordel nécessaire à égailler un peu le tout? On a tous grandement besoin d’une dose de risque et d’imprévu.

Enfin, tout ça ne m’empêche heureusement pas de profiter de la ville et de ses établissements thermaux pendant quelques jours, toujours accompagné de mes compagnons maghrébins qui n’ont finalement pas eu à dévoiler leur intimité en public pour profiter du sauna. J’étais passé à Budapest il y a sept ans lors d’un autre voyage et je me souvenais notamment que leur langue était d’une difficulté sans nom, un véritable enchaînement de « z », de « s » et de « n », si bien que la Hongrie sera le seul pays de mon périple où je n’ai même pas fait l’effort de (ré)apprendre à dire « bonjour » par fainéantise aigüe et puis parce que la motivation du départ a disparu. Sorti de Budapest, les paysages redeviennent quelconques et je dois attendre d’approcher l’Autriche et les bordures du Danube pour retrouver des coins vraiment sympas où rouler, surtout que le curseur de la météo est toujours positionné en mode neige et brouillard. J’ai désormais un rituel bien établi en installant tous les soirs le réchaud une bonne demie-heure sous la tente pour tout sécher avant de dormir. Je réussis ainsi régulièrement à faire fondre un petit bout de bâche ou de gants mais comme je sais la fin proche, j’observe mon matériel partir en fumée avec philosophie.

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J’arrive à Vienne de nuit et en vient à camper dans un terrain vague/décharge au milieu d’immeubles en construction car je n’ai aucune envie de me mettre à la recherche d’un toit à cette heure. Je pense d’abord que l’endroit n’est pas très sûr avant de me remémorer mon état d’esprit lors de la traversée du Botswana. À l’époque, j’étais mentalement prêt à foncer tête baissée sur un lion s’il en surgissait un, j’ai peu de chances de tomber sur un type plus con que moi cette nuit. Je ne crains rien.

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Vienne est sehr jolie, un peu comme toutes ses frangines d’Europe de l’Est d’ailleurs. Le genre de ville où un plan est à peu près inutile : peu importe où qu’on aille, il y a quelque chose à voir. Je suis aussi passé par hasard devant l’ambassade de France, remarquant amusé quelques invitations à l’enfilade pour nos meilleurs ennemis du moment.

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Je passe une journée dans Vienne, harcelé par les curieux qui veulent en savoir plus sur mon voyage, souvent intéressés pour entreprendre le même type de projet mais encore souvent empêtrés dans des obstacles de sédentaire que je sais insignifiants.

Alexandre et moi avions suivi le cours du Danube en Serbie en 2011. Me voici à nouveau le long de ses berges cinq ans plus tard et profitant de l’hospitalité autrichienne en direction du petit village de Sattledt où je dois revoir Karin une amie qui a voyagé une semaine avec moi en vélo au Costa Rica.. Sattledt marquera mon dernier arrêt avant un dernier sprint final de 13 jours et mes derniers 1000 kilomètres à parcourir avant de revoir mon petit village et fumer la cheminée.

On m’avait dépeint les Autrichiens très peu aimables, je proteste avec un exemple parlant. Un beau jour, alors que je jouissais enfin d’un bain de soleil sur une pelouse au bord du fleuve tout en cuisinant, un voisin se pointe avec une chaise de son intérieur pour que je puisse m’installer confortablement. J’étais en fait sur sa propriété. J’ai déjà connu pire accueil…

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Finalement, les seuls à m’avoir bousculé un peu sont les flics qui m’ont attrapé sur une route interdite aux vélos (pour une fois empruntée par erreur…). Leur premier réflexe a été de piquer une grosse colère, indignés. J’ai levé les sourcils sans rien dire en me demandant bien ce qu’il lui trouvait de dangereux à cette route. Puis, voyant que j’en avais absolument rien à glander, ils ont fini par porter mon vélo dans l’escalier métallique de la sortie pour m’évacuer. Si seulement j’avais pu filmer ça…




Ukraine, ma petite retraite de Russie

Je passais la nouvelle année à Kiev, toujours accompagné de Florian pour sa dernière semaine de voyage, et de John, un ami venu me rendre visite pour l’occasion. Comme pour nous il y a quatre ans, ses pupilles se dilatent à chaque fois qu’il croise une Ukrainienne, surtout quand celle-ci le dévisage sans vergogne en retour. Lui non plus n’avait pas voulu nous croire avant de venir, je le comprends. Et puis Kiev est une jolie ville. Je l’ai redécouverte avec plaisir sous la neige, je m’en souvenais finalement très peu.

Comme il y a 4 ans, j’ai de nouveau été surpris par l’hospitalité à deux vitesses des locaux capables de vous ignorer honteusement dans les moments les plus difficiles (j’avais d’abord mis ça sur la situation un peu tendue du pays mais ça n’a pourtant pas l’air de les préoccuper outre mesure) et de vous couvrir de nourriture dès qu’on a brisé la glace avec une conversation lambda. Un peu troublant.

Le situation politique mérite d’ailleurs un petit détour par la Crimée, point sensible sur lequel les partisans des deux camps ont plaisir à nous aveugler de leur point de vue sans qu’on leur demande leur avis. Je dois dire que mon opinion penche plus côté russe car les Criméens rencontrés se positionnent ouvertement pour l’affiliation avec la mère Russie et ne comprennent pas comment on a pu les rattacher à l’Ukraine.

Autre lieu célèbre de la région mais pour d’autres raisons non moins sordides : Tchernobyl. Une amie m’avait dissuadé d’y aller en 2011 et j’y repensais depuis à chaque fois que je voyais des photos de Pripyat (la ville fantôme située à côté de la centrale) traîner sur internet. Cette fois, je me suis payé le tour, car il est bien sûr hors de question de s’y rendre en vélo, il faut de l’autorisation et du laisser-passer officiel.

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Évidemment, le point qui rebute le plus est le risque d’exposition à des taux élevés de radioactivité et j’ai donc recherché un peu sur internet sur ce qui s’en disait : dans la nature nous sommes exposés à des taux de l’ordre de 0 à 1µSv/h (microsiverts). En général, ça tourne dans les 0,10-0,20, Kiev est à 0,13. J’avais un compteur Geiger en permanence avec moi pendant toute la visite et 99% du temps à l’intérieur de la ville fantôme de Pripyat on est sur du 0,10-0,25. On est monté à 1,2 juste à l’extérieur d’un jardin d’enfants, à 2,5 à deux cents mètres du réacteur qui a explosé en 1986 et le guide nous a montré UN coin à 9µSv vers une racine d’arbre près du jardin d’enfants. Dans tous les bâtiments, le taux est normal car le plus fort des radiations n’est pas rentré. Et dans un avion de ligne à 10 000m d’altitude, ça monte à 8-9µSv par heure et fumer cinq paquets de cigarettes est équivalent à recevoir une dose de 1 mSv, c’est-à-dire que la dose maximale admissible pour le public en une année, ça calme non? Le guide vient là quasi quotidiennement, il y a des gens qui travaillent à Tchernobyl sur des durées de 15 jours, et certains habitants sont même revenus vivre dans les villages aux alentours sans qu’ils n’aient pour le moment plus de problèmes que les autres. Bref, les cinq heures sur place ne présentent donc pas un danger exceptionnel, Canal+ y a même envoyé un de ses journalistes qui nous accompagnait pour l’occasion.

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Et ça vaut franchement le coup. La ville fantôme de Pripyat fait partie de ses lieux dont on ne peut se rendre compte de l’ampleur de la situation qu’une fois sur place. Un peu comme la frontière Nord-Coréenne, l’immensité d’un désert ou la muraille de Chine pour ce que je connais. Entre les immeubles totalement abandonnés, l’ancien supermarché, les gymnases, les écoles, la bibliothèque, la piscine (où des scientifiques se sont baignés jusqu’en 1998 car protégée de l’intérieur), la grande roue et la piste d’auto-tamponneuses (qui devaient rentrer en service le 1er mai 1986, soit cinq jours après l’explosion), on imagine très bien le drame des habitants qui ont dû tout abandonner derrière eux du jour au lendemain.

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Comme les autorités n’envisageaient à aucun moment que des touristes puissent venir visiter une ville abandonnée, il avait été ordonné de récupérer toute la ferraille des bâtiments et les dégradations visibles sont donc à 90% du fait du gouvernement.
C’est évidemment le seul musée où les écriteaux n’ont pas besoin de préciser « on touche avec les yeux » car personne n’a envie de laisser traîner ses paluches n’importe où ou de ramener un petit souvenir. Pour les intéressés, je recommande de s’y rendre en hiver car les groupes sont plus petits et le guide beaucoup plus souple avec les règles.

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Puis les fêtes sont passées et il m’a fallu quelques jours pour reprendre le rythme au moment d’entamer mon dernier mois de voyage, seul cette fois puisque tous mes partenaires ont préféré rentrer au bercail avant l’heure. Le moral était bon car je sais que je reverrai tout le monde d’ici peu et que je veux désormais profiter un maximum des derniers jours sur la route mais les jambes faisaient défaut et le temps s’arrangeait pour rejouer la grande retraite de Russie 200 ans plus tard.

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La route entre Kiev et Lviv n’a aucun intérêt et il me faut bien tous les podcasts des grosses têtes version Bouvard et Jacques Martin pour me fendre la poire au milieu des paysages gris et des visages fermés. En arrivant à Lviv et pour aller à Vienne, il fallut prendre une décision : la Pologne, la Slovaquie ou la Hongrie? Ça faisait 500km que je me posais la question et j’ai fini par choisir la route la plus au sud en espérant une petite vague de chaleur revigorante. Au sud justement, les Carpates s’annonçaient sur mon chemin et c’est au coeur de la montagne que les choses se gâtaient définitivement : la neige a commencé les hostilités alors que je grimpais les cols entre deux stations de ski, avant que mon porte bagages ne cède définitivement à la tombée de la nuit.

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Pas de quoi freiner mes ambitions et je réparais tout ça avec les moyens du bord qui se composaient d’une fourchette, un boulon et deux colliers de serrage. Ce montage m’a permis de tenir presqu’une journée avant que ma pédale droite ne s’écrase au sol à vingt kilomètres de Mukachevo, l’axe du pédalier avait cédé!

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La loi des séries, mais cette fois je ne sais ni réparer, ni faire de vélo avec une seule pédale… La perspective de faire du stop avec tout mon fourbis me déprime d’avance. C’est le moment où il ne faut surtout pas trop cogiter à la situation, agir très vite à l’instinct et avancer si on ne veut pas tomber dans une spirale négative. Je plie tout à la va-vite et tends le pouce avec mon plus beau rictus, surmontant de vieilles fripes sales et malodorantes. Une famille s’arrête dans une voiture neuve après un gros quart d’heure et à force de bonne volonté de leur part, tout rentre sans trop dégueulasser l’intérieur. Ils font le tour de la ville pour trouver un magasin de vélo ouvert, il est 17h, samedi, c’est mort jusqu’à lundi. L’instinct me dit de poursuivre plus loin et ils m’accompagnent jusqu’à la gare acheter un billet pour Budapest le lendemain matin car il était bien entendu hors de question de partir sans m’avoir hébergé, nourri et blanchi.

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La Russie, le froid lui va si bien

Heureusement, il ne fait que -10˚C à Ekaterinburg. Notre visite de la ville en vélo est donc plutôt agréable et la fraîcheur des dernières semaines nous permet même d’enfourcher nos montures sur le réservoir gelé traversant la ville sur lequel quelques pêcheurs tentent d’attraper un peu de friture. Les trottoirs sont recouverts d’une couche de glace permanente où tout le monde joue son numéro d’équilibriste amateur le nombre de poignets pétés en période hivernale doit littéralement décupler! Ekaterinburg, nommée Sverdlovsk jusqu’en 1991 est beaucoup plus jolie que ses habitants veulent bien l’annoncer et si elle a été le dernier lieu de vie du tsar, personne ne recherche plus la princesse Anastasia qui serait depuis le temps bien défraîchit. De toute façon, un tsar, ils en ont trouvé un nouveau en la personne du président. Nous avons souvent eu l’occasion de constater la popularité de Vlad’, surtout hors de la capitale où les gens ont tendance à l’aimer en grande proportion. Il faut dire qu’il fait preuve d’une communication hors pair qui me fait personnellement franchement marrer. Des tee-shirts avec Poutine dans des situations plus rocambolesques et glorifiantes les unes que les autres sont à vendre un peu partout en Russie. On a trouvé des admirateurs jusqu’au Kazakhstan où les filles tapaient parfois du poing sur la table en s’écriant « Ça c’est un homme!« . Bref, une icône dans son genre comme pouvaient l’être certains de ses illustres prédécesseurs.

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Nous sommes restés quatre petits jours sur place et notre seule sortie nocturne en pleine semaine s’est soldée par une céphalée évidemment provoquée par un Russe un peu trop hospitalier à coups de « mètres de whisky ». On aura cette fois au moins échappé à la vodka.

Vues les distances et les conditions climatiques, les voyages entre les villes s’effectuent toujours en train et la première difficulté est de faire accepter les vélos par la vielle responsable des wagons, une gueularde par pure tradition. Il est possible de payer un supplément « Velocipede » au guichet (environ 2€) en prenant les billets mais ça ne change rien au cirque qu’elle nous fera tout le parcours. Notre technique favorite est donc de monter les vélos pliés dans le wagon, la mettre devant le fait accompli et lui demander où nous les mettons. Une fois dedans, c’est trop lourd pour que la bruyante les descende seule. Elle viendra ensuite régulièrement nous demander des les bouger, même en pleine nuit. Il faut l’ignorer le plus souvent possible et surtout, mais surtout, ne pas avoir le malheur de sortir quatre mots de russe ou elle vous considère immédiatement bilingue et braille de plus belle!

Une fois ce petit détail « réglé », il faut désormais rentrer dans un état de léthargie pour supporter l’atmosphère nauséabonde de renfermé du wagon et la température oscillante entre 27 et 35˚C quand il fait -10˚C à l’extérieur. Et pas moyen d’ouvrir la fenêtre sans qu’une baboushka (vieille russe) hurle qu’il fait trop froid! Bref, il faut prendre son mal en patience pour les 20 heures de trajet et dormir le plus possible.

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Nous bougerons dans les mêmes conditions joyeuses à Moscou puis Saint Petersburg, deux villes magnifiques dont le charme ressort sans doute encore plus l’hiver. Mais Moscou s’est snobifiée depuis mon dernier passage il y a quatre ans. Un ressenti confirmé par tous les Russes qui nous ont conseillé de passer moins de temps dans la capitale et de ne carrément pas voyager l’hiver en Russie. Conseil contestable : on y croise beaucoup moins de touristes et la neige apporte un plus indéniable. Moscou, été comme hiver, mérite dans tous les cas qu’on y fasse une halte un jour ou l’autre.

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C’était ma première à Saint Petersburg, anciennement Petrograd puis Leningrad et enfin surnommée amicalement « Peter » jusqu’à aujourd’hui (la ville a eu 14 noms différents. Les Russes ont à ce propos une culture des surnoms assez amusante où chaque prénom a un ou plusieurs dérivés. Nous savions depuis notre premier passage qu’Alexandre se transformait en Sasha, j’appris cette fois que Grégory pouvait permuter avec Grisha. Merde, presque comme Bogdanov!
On trouve dans l’ancienne capitale impériale des tsars des métros creusés à près de 100 mètres sous terre, une tradition d’URSS qu’on retrouve aussi à Moscou et à Kiev. La descente interminable des escalators donne parfois le vertige avant parfois d’arriver sur le quai de véritables oeuvres d’art architecturales. En ville, on se lasse difficilement de longer la Neva et d’admirer les édifices pré-soviétiques disséminés un peu partout. Je ne m’étale pas, j’ai peu de photos potables, mais je recommande.

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Suite à ces quelques milliers de kilomètres de voyages ferroviaires et urbains, nous reprenions le vélo à Bryansk en direction de l’Ukraine après quasi trois semaines d’hibernation. Le manque de confort est tout de suite plus aigu avec ce froid agrémenté d’un vent frontal tenace. Le plus remarquable avec le vent de face, c’est qu’il reste toujours de face après un virage à 90˚C. On a souvent envie d’insulter mais on ne sait pas vraiment sur qui s’énerver… Alors on force, on s’arrête, on marmonne quelques jurons, on reforce et on a l’impression de finir la journée épuisé pour rien. Au moins en montagne, on comprend l’effort, on peut même aller jusqu’à l’apprécier.

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Quelques jours de camping et de galère plus loin, nous entamons notre dernier jour de visa avec l’objectif de passer la frontière ukrainienne dans l’après-midi. Au petit déjeuner, deux flics viennent s’enquérir de nos identités et repartent en nous souhaitant une bonne journée. Nous les retrouvons deux heures plus tard, à 40km de la frontière pour un nouveau contrôle, mais cette fois, il faut les suivre à la maison Poulaga pour qu’ils nous tirent le portrait. Bien, bien, bien…

Sevsk et la poste de police en arrière plan

Sevsk et la poste de police en arrière plan

Au poste de police de Sevsk, dans un petit bureau miteux, les étagères rouillées, des piles de papier partout, des portraits robots scotchés aux murs qui datent de Mathusalem, un calendrier de 2006 et, un portrait géant de Djerzinski, l’oeil toujours plein de bienveillance. Connaissant un peu le bonhomme, ils mettraient Goering dans les commissariats allemands que ça me choquerait pas tellement plus. Outre cet intéressant mobilier, six ou sept personnes défilent dans le bureau, posent quelques questions en russe, nous disent que c’est la guerre en Ukraine, qu’on va nous demander 3000$ pour y rentrer, etc. Moi, j’ai 30 balles en poche si ça intéresse les Ukrainiens. On a beau leur dire que la bagarre c’est au sud-est que ça se passe, rien à faire, non seulement on ne peut pas partir mais on ne nous dit pas ce qu’on compte faire de nous (et ils parlent encore moins anglais que moi russe, c’est dire…).

Il est midi passé, ça fait deux heures qu’on se raconte des conneries en français pour passer le temps et notre visa se termine bientôt. Nous contactons l’ambassade qui nous passe le consulat « ah bah vous faites bien d’appeler maintenant parce que dans une demie-heure on ferme et on ne pourra plus vous aider ». D’accord mais je prévois pas mes emmerdes en fonction de vos horaires d’ouvertures moi… Bref, la gentille dame fait office d’interprète et nous précise que nous n’aurons pas de problèmes pour rentrer en Ukraine mais que des « bandits » sont présents sur la route de Kiev et vont nous braquer. Les policiers russes estiment même à 90% nos chances d’y rester, ils disent avoir des rapports tous les jours de ce genre d’incidents. On commence à les prendre un tantinet plus au sérieux. Il reste quelques heures pour sortir du pays et notre solution la moins risquée est de se rendre à Suzemka, seconde bourgade pleine de vie à 40km de là et de prendre un train pour Kiev. Nous effectuons la distance en plus de quatre heures à cause du vent et je fonce au guichet à 17h pour demander le prochain train pour Kiev : « tchitiri zavtra outrom! » (demain matin 4h). La petite fenêtre du comptoir s’est violemment refermée avec toute la politesse qu’on est en droit d’attendre de la préposée russe.

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J’enchaîne avec le bureau de l’immigration qui commence à m’expliquer l’amende que je vais prendre… avant de me dénicher un train qui traverse simplement la frontière à 23h50! Nous achetons immédiatement les billets et passons prendre une bière pour se détendre après cette journée inattendue. Les flics du bled ont en revanche beaucoup de mal à se décontracter et vont même jusqu’à aller nous chercher dans le bar pour vérifier que nous avons bien nos sésames pour l’Ukraine. Nous serons guidés et escortés jusqu’à ce que nous soyons dans le train où il fait, sans surprise, pas loin de 40˚C.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvons à passer la veillée de Noël dans une gare pourrie d’Ukraine en compagnie d’une famille Moldave tout juste expulsée de Russie. On relativise vachement plus sa situation d’un coup. Et puis, on avait prévu un campement dans la forêt dans le meilleur des cas… c’est pas si mal les sièges en plastique dur.

Florian décide d’attraper un second train pour Kiev le lendemain matin (plus parce qu’il a décidé d’arrêter le voyage en vélo depuis quelques jours que par peur) alors que je décide de d’abord vérifier la situation avec les autorités du pays concerné avant de poursuivre. Pas de souci, il n’y a visiblement aucun bandit mais on vérifie tout de même mon passeport un bon moment au cas où un terroriste/clandestin/évadé se présenterait spontanément à la police pour demander un renseignement…

Je pédale donc les 350 derniers kilomètres jusqu’à Kiev sans braquages, passant deux check-point militaires sur de minuscules départementales et beaucoup de voitures de police par la suite. Suis-je passé dans les 10% de chanceux? Vus ma vitesse et les témoignages recueillis, je ne crois pas. La police russe semble faire un peu de zèle avec la situation de leurs voisins. Finalement, mon seul ennui fut de me réveiller sous ma tente avec 10cm de poudreuse et de rouler toute une journée sur une route enneigée/verglacée avant que les chasses-neige n’ait eu le temps d’intervenir. Sur le coup on gueule mais ça laisse de bons souvenirs pour la suite.

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Quelques jours plus tard, j’atteignais la capitale ukrainienne en début de soirée où le premier changement se faisait vite remarquer : on y vend aussi des portraits de Poutine mais imprimés sur du papier toilette!




Kazakhstan, la route vers la Sibérie

Après un court épisode à trois, nous voici repartis à deux en direction du Kazakhstan suite à la dernière défection d’Alexandre. Nous quittons Bishkek sans grand regret et passons la frontière kazakh après un dernier reniflage des vélos par un cocker kirghiz. J’avais toujours affirmé jusqu’à maintenant qu’on pouvait passer de la drogue à presque toutes les frontières terrestres pourvu qu’on soit à vélo. Jusqu’ici donc.

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Cinq kilomètres de vélo après les habituelles formalités tamponières, un type me fait signe de m’arrêter depuis son gros SUV et semble agiter un billet de Benjamin Franklin. Je stoppe, il ouvre la fenêtre et me tend 100$. Il déconne ou quoi?! Il insiste, je le prends, faut pas être fou non plus.

Cinq cent mètres plus loin, le même luron nous invite au restaurant puis chez lui pour la nuit. Abaï, la cinquantaine, est un chef trois étoiles des douanes kazhak, type mâle dominant hyperactif et nul besoin d’avoir beaucoup de vocabulaire pour s’entendre avec lui, il suffit de porter un toast en français à chaque shot de vodka. Abaï a trois femmes (la dernière a 25 ans et est bidochée comme un avion de chasse), et toutes sont au courant du cirque qu’il mène dans ses différents foyers. Au cours de la soirée, nous lui expliquons que nous souhaitons nous rendre à Aktau mais que le temps va peut être nous manquer.

-Vous avez combien de temps de visa?
-Un mois.

Il prend aussitôt son téléphone et appelle « Allo, la frontière? Vous avez vu passé deux cyclistes Français aujourd’hui? Oui, bon, alors vous leur mettez deux mois de visa. »
Il se tourne alors vers nous : « Voilà alors si vous avez un problème, vous leur dites de m’appeler. À Aktau, tout le monde va se mettre au garde à vous ne prononçant mon nom » dit-il en tapotant trois doigts sur son épaule pour symboliser ses étoiles de gradé. L’occasion d’un n-ième toast.

Après une bonne nuit de repos dans une chambre de 40m2, nous retrouvons Abaï au petit déjeuner à 8h du matin et remarquons immédiatement le petit verre de vodka à côté de l’assiette d’oeufs au plat. Allez, on en prend un pour lui faire plaisir et c’est marre. Une heure plus tard et six shots supplémentaires, nous repartons sur nos vélos en titubant, nous venons de goûter à l’hospitalité kazakhe. C’est pas désagréable tant que ce n’est pas trop récurrent.

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Le reste du parcours jusqu’à Almaty n’a pas grand intérêt mise à part une chaîne de montagnes enneigée au loin. La ville non plus ne présente pas un grand attrait mais sera le lieu d’une décision importante pour la suite du voyage. Comme je gardais un excellent souvenir de la Russie et que la route du sud via la Turquie me tentait un peu moins (principalement à force d’y penser car j’adore changer mes plans), je faisais part de l’idée à Florian autour d’une bière quand une Russe passais près de nous et me jette un regard qui qui ne requiert aucune explication supplémentaire. Nous irons donc en Russie, malgré les conditions et délais pour obtenir un visa russe depuis l’étranger. La ville d’Almaty est moche, mais il y a pire endroit pour attendre.

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Puis vint le jour de la reprise avec un départ pour Balkhash, 600 km plus au nord. Notre visa se terminait deux jours avant la sortie prévue par le train mais nous comptions sur le joker « Abaï » pour faire avaler la pilule aux douaniers. Une heure avant de partir, je vérifie tout de même ce que vaut un « overstay » au Kazakhstan. En Asie on prend généralement 10$ par jour d’amende et nous n’avions rien eu en Australie pour une semaine. Bien m’en a pris, ici c’est plutôt 15 jours de prison et 1000$ d’amende négociable à 300 avec un douanier conciliant.

Nous fonçons au bureau de l’immigration d’Almaty pour officialiser la prolongation orale de notre ami avant notre départ : NIET. Ils se foutent comme de leurs premières dents que nous connaissions un gradé des douanes. Notre dernière solution consiste à retourner au Kirghizistan et repasser au Kazakhstan dans la foulée afin d’obtenir un nouveau visa gratuit de 15 jours. Et pas moyen de leur expliquer qu’une prolongation de deux jours serait plus simple que de faire 600km dans la journée. Dura lex sed lex. Donc, Almaty-Bishkek-Almaty en 8h par minibus/taxi et pour 15$ chacun, on ne s’en tire pas trop mal.

La reprise du lendemain est dure, on s’est arrêté trop longtemps croquer la vie dans l’ancienne capitale kazakhe et les jambes n’y sont plus (il parait que les pommes du Kazakhstan sont les originelles, le serpent est encore passé par là). Nous pédalons environ 300km au milieu des immensités prairiales et nous n’avons que l’embarras de choix quant aux emplacements de camping le soir venu.

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La route est plutôt agréable mais nous n’avons pas le temps de rejoindre notre train à Balkhash à ce rythme. Nous effectuerons donc la moitié du parcours en stop grâce à un gentil camionneur russe qui accepta de prendre nos deux vélos sur la remorque au milieu de la pampa et nous faire faire les 300km restants.

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Au fur et à mesure de la route, la neige s’épaissit et nous arrivons à Balkhash sous un temps très sibérien. Les habitants écarquillent les yeux en voyant passer deux abrutis par ce temps et dans ce bled sans intérêt aux allures toutes soviétiques.

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Le reste du chemin pour atteindre Ekaterinburg se fera sur les rails, pas le temps ni l’envie de se taper 2000km de mornes étendues à fredonner le chant des partisans et le vol noir des corbeaux sur les plaines pour se mettre dans l’ambiance. Les trois dernières nuits sous la tente à -10˚C ont quelque peu freiné notre motivation hivernale.
Le premier train jusqu’à Astana vient de Bishkek avec un personnel kirghiz et aucune surprise de ce côté là, ce sont des cons. Nous savons que les provodnitsa (vieilles responsables de wagon en ex-URSS) ont un don particulier pour rouscailler en permanence mais on est toujours un ton au-dessus dans la méchanceté avec ceux-là.

La passage de la frontière viendra confirmer notre choix d’avoir refait un visa car nous sommes immédiatement soupçonnés de… terrorisme. Ça faisait bien depuis le Kenya qu’on me l’avait pas faite celle-ci! Deux barbus qui rentrent par la terre, dont un avec une chemise « africaine » et qui arrivent d’Iran où ils ont passé six semaines, ça vaut bien trois personnes successives pour les interroger dans le train à 4h du mat’. Bon, ils ont été sympa, ça s’est bien passé et vues les circonstances on ne peut pas leur donner tort de se méfier pour une fois. Quand je vois le genre de cerveau qui a organisé les attentats, ils seraient bien aussi capables de se faire gauler à la frontière…

Nous voici désormais en Russie où une épaisse poudreuse recouvre la campagne. Une semaine avant notre arrivée, les températures atteignaient les -24˚C à Ekaterinburg, je crois que le vélo attendra encore un moment…

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Trois singes en hiver chez les Stan

Sans portables ou internet pour se recontacter en cours de route, nous avions convenu de retrouver Alex quatre jours plus tard dans l’après-midi à la gare de Taraz au Kazakhstan, soit 300km après Tashkent. Pour resituer un peu le contexte, Alex vient de quitter temporairement Katerina, une Chilienne débusquée lorsque nous étions tous les deux au Costa Rica il y a 7 mois et qui depuis l’accompagnait en vélo en Europe (l’amour fait pousser des ailes jambes) et j’avais depuis parcouru l’Afrique, le Moyen Orient et rejoint Florian, en Iran, un copain rencontré il y a deux ans en Australie pour la suite du voyage. Voilà, j’espère que ça vous parle un peu plus.

Notre premier jour dans le pays allait immédiatement donner le ton des 10 prochains: il pleuvait. Heureusement, nous allions aussi très rapidement bénéficier de la même hospitalité qu’en Ouzbékistan : cherchant à faire le plein des bouteilles d’eau sur un chantier de construction avant de partir camper, le gardien m’indiqua sans même que je lui demande où nous passerons la nuit. Il semble que nous ne risquions encore pas grand chose dans ce pays à part un bon coup de froid. Un froid d’abord assez bien venu pour les jambes brûlées de Florian qui le fatiguaient pas mal, mais qui, associé à la pluie, s’avéra vite être un enfer pour deux cyclistes sous équipés. Tous les cyclistes rencontrés dans le coin ces derniers mois semblaient s’auto-rassurer sur la vague de frais à venir en décrivant le matériel léger que chacun avait prévu. Et tous, nous compris, répétaient en coeur « Ça va le faire. » Ben voyons…

J’avais ressorti pour l’occasion les sacs plastiques scotchés autour des pieds pour étanchéifier les chaussures mais il fallut bien admettre après trois jours de frissons que nos deux corps pétrifiés n’arriveraient pas à temps au rendez-vous, malgré quelques offrandes culinaires locales. Le froid, la pluie, le vent des plaines kazakh, les corbeaux noirs qui volaient au raz des champs ternes, rien ne de positif ne pointait à l’horizon. Le train, après renseignements à la gare d’un petit bled, arrivait trop tard. Ça sera donc le stop et sans surprise, nous n’attendions pas plus de 20 minutes avant de trouver un break qui acceptait de charger vélos, bagages et nos deux carcasses tremblantes jusqu’à Taraz où nous retrouvions Alex, sous la pluie.

Le lendemain, nous foncions sans plus attendre au bazar de la ville s’équiper en vêtements chauds, bottes de neige et chaussettes de laines afin d’affronter les prochaines épreuves avec un peu plus de sérénité. Et nous voici partis pour le Kirghizistan et ses sommets enneigés. Quand on est con…

Le surnom du Kirghizistan est « la petite Mongolie » à cause des paysages, et nous avons eu l’occasion de constater à plusieurs reprises à quel point ce sobriquet était justifié. Les paysages sont superbes, comme sa grande soeur ; et les habitants, ici comme là-bas, nous ont déçu. À plusieurs reprises nous avons ressenti l’hostilité locale à notre égard et ça aurait parfois pu mal tourner. Dès le premier jour, une bande de jeunes célébrant un mariage au bord d’un barrage, où un énorme portrait de Lénine est sculpté dans la montagne, nous invite d’abord à boire un peu de vodka, danser avec eux, avant de partir en vrilles, jeter les lunettes de vue de Florian en contrebas, me voler mon compteur et devenir carrément agressifs. Tout s’est bien terminé mais nous nous sommes immédiatement fait la réflexion « ouais… comme la Mongolie… »

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Un autre soir dans un bar de Bishkek (la capitale), un type un peu bourré commence à nous provoquer puis finit par mettre une claque à Alex avant de partir. Oui bon, ce n’était qu’un mec bourré mais les types saouls au Kazakhstan ou en Ouzbékistan ont toujours été super cools. Il faut admettre que nous avons aussi rencontré des gens sympas comme partout mais bon, les « coïncidences », les regards des gens, leur façon de vous adresser ou non la parole, toutes leurs petites arnaques un peu plus fréquentes que leurs voisins des « -stan », au bout d’un moment, ça ne trompe plus : il y a plus de cons au Kirghizistan. Tout est une question de proportions.

Avec le temps et l’habitude du voyage, je me suis rendu compte qu’on arrivait en un clin d’oeil à dire si un pays sera sympa ou non. La première impression était la bonne 99% du temps (cf. Blink de Malcolm Gladwell). Depuis quelques mois, je pensais que nous avions peut être mal réagi il y a quatre ans avec les Mongols et qu’un nouveau voyage là-bas serait sans doute différent. Aujourd’hui, je ne me fais pas d’illusion : ces gens ne sont pas compatibles avec moi. Et je dis ça sans amertume, je constate. En sens inverse, je croyais aussi avoir un peu idéalisé les Russes à l’époque mais plus j’en rencontre et plus je réalise à quel point je me sens bien avec ce peuple. D’ailleurs je crois que ce n’est pas un hasard si notre Gérard national s’y sent bien. Et il suffit de dire « Я француз » (ia frandsous – je suis Français) pour entendre « Aaaaah Depaldieu!« , tous les russophones l’adorent.

Ce qui nous a aussi surpris dans ces pays est à quel point ils connaissent la politique française, ils sont même parfois plus au courant que nous trois. Alors pour résumer leur point de vue : Chirac était très bien, Sarkozy peut mieux faire, l’actuel dont ils ne savent pas le nom est un nul et il faudrait voter Marine Le Pen (oui oui, ils la connaissent, je sais pas pourquoi…). Ça nous aura permis de rigoler à plusieurs reprises, maintenant vous en faites ce que vous voulez…

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Bref, ça ne nous a pas empêché de nous faire plaisir en vélo à parcourir la campagne kirghiz. La route depuis le Kazakhstan sillonnait les montagnes enneigées dans un décor assez délicieux, et la neige, encore une fois venue contrarier nos plans, a tout de même grandement contribué au tableau. Dès le deuxième jour, à 1500m de haut, de grosses chutes de neiges nous obligèrent à déblayer l’emplacement des tentes sur 10cm pour éviter de s’installer sur un lit trop humide par -10˚C. Ça n’a visiblement pas suffit pour moi qui ai passé la nuit à trouver des solutions pour limiter les dégâts d’un sac de couchage mouillé et trop usé par le voyage.

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J’ai dormi environ 3h et suis longtemps resté prostré sous ma tente en attendant un miracle qui n’arrivera pas. Mes compagnons n’avaient pas non plus passé la nuit de l’année et les montées du lendemain matin furent trèèès longues. Il n’y avait bien que la vue derrière nous, une fois les nuages dépassés qui pouvaient nous remonter le moral. L’après-midi fût un poil plus énergique et nous finissions par atteindre le sommet enneigé à 3300m en fin d’après-midi où une longue file de camions restait bloquée par la gadoue blanche et le verglas malgré leurs efforts de pelletage. Nous trouvions plus tard un refuge pour la nuit dans une auberge 10km en contrebas pour un prix raisonnable mais annoncé à la tête des clients. Ils n’ont pas trop abusé, disons que c’est de bonne guerre.

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Le lendemain, rebelote pour une deuxième virée en montagne mais sous un soleil étincelant toute la journée. Intrigués par les nombreux stands de pacotilles le long de la vallée, nous avons fini par acheter un litre de lait de jument fermenté (le koumis) et de petits fromages forts, deux machins bien locaux. J’ai pu mangé les petites boulettes mais personne n’a voulu prendre une deuxième gorgée de l’affreux liquide, même pour le sport.

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À l’embranchement d’un village, une faucille et un marteau rouillés reposent en face du panneau de Soussamir, le village menant au lac de Song Kul, à 3000m de haut. Nous passons tout droit sans regrets, nous avions unanimement pris la décision après les efforts de la veille d’abandonner l’idée de se rendre là-haut et d’y camper. Nous n’étions ni prêts, ni suffisamment équipés pour ce genre d’expédition et notre route s’arrêtera donc à Bishkek. Après un nouveau col à plus de 3000m, une nuit dans les barraques des cantonniers locaux et 120 km de vélo plus tard, nous voici arrivés à notre dernière destination à trois car Alexandre a finalement décidé de stopper le voyage ici et de retrouver une vie plus sédentaire avec sa chérie rencontrée au cours de ce voyage. Pas besoin de lui demander ce qu’il retire de positif de ce périple de quatre ans autour du monde.

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Plus tard, les deux derniers singes s’en iront défier les plaines de Sibérie. Mais avant cela, nous ne manquerons pas de nous ressourcer au bania (le sauna/bain public russe), une tradition que je compte bien rapporter avec moi en France.

Les deux singes ont enfin trouvé l'hiver!

Les deux singes ont enfin trouvé l’hiver!




Une petite semaine en Ouzbékistan

Notre arrivée à l’aéroport de Tashkent (Ouzbékistan) pour éviter le Turkmenistan a bouleversé tous nos plans. Nous avions prévu de traverser le pays d’Ouest en Est et nous voici collés à frontière kazakh sans vraiment le temps de revenir en arrière, puisqu’Alexandre (mon frère pour les profanes), nous attendait déjà au Kirghizistan après une séparation de plus de 6 mois… Afin de mûrir notre décision, nous choisissions d’aller visiter l’architecture des bars de la ville et d’admirer les genoux féminins que six semaines d’Iran soulignaient avantageusement.

Puis nous nous embarquions dans un train en direction de Samarcande, pour regoûter aux joies du transport ferroviaire d’URSS. En bon initiés, nous avions prévu la vodka, les cornichons et le fromage salé pour faire honneur à nos voisins, qui se sont avérées être deux vieilles ouzbeks qui ne buvaient pas mais qui étaient malgré tout très sympathiques. Les contrôleurs, eux, ne rechignaient pas à venir réclamer leur dû après nous avoir évité de nous faire pincer par la police pour cette bouteille.
Car si les Ouzbeks sont hospitaliers, la milice locale laisse plutôt à désirer. Non seulement il faut s’en méfier dans la rue (quand on compte ses billets sur le marché noir) ou sur la route, mais ils ont aussi réussi à inventer un système d’enregistrement complètement inepte, l’OVIR, qui oblige à s’enregistrer dans un établissement agréé tous les soirs sous peine d’une amende défiant toute logique. Pratique lorsqu’on voyage à vélo et qu’on dort sous la tente. Un couple d’Ukrainiens quelques jours après notre arrivée a visiblement dû payer près de 5000$ pour ce manquement. D’après les rumeurs, les cyclistes ont droit à quelques exceptions mais rien n’est moins sûr.

Quoi qu’il en soit, dans l’incapacité de voir Bukhara ou encore Khiva (les deux villes qui nous attiraient le plus), nous étions bien décidés à au moins visiter Samarcande et la Ferghana vallée. Samarcande… oui, bon, je n’ai pas réussi à m’enthousiasmer. Les bâtiments sont jolis, c’est indiscutable, mais l’ambiance était sans doute un peu trop propre et organisée. Dans ces cas là tout le côté historique (Tamerlan notamment) peut rattraper le tableau mais là non, décidément, j’étais indisposé à m’immerger malgré un séjour agréable. Sans doute était-ce ce voyage en train à contre-sens depuis Tashkent que nous avions effectué pour aller visiter un site touristique. Exactement ce que je déteste faire. L’aurais-je plus apprécier en arrivant du Turkmenistan? J’admets que la question peut paraitre stupide.

Bref, je vous colle deux photos du « Registan » pour vous représenter un peu le style de la ville car j’ai pas le coeur à vous faire une description à la Zola.

Le Registan de Samarcande

Le Registan de Samarcande

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Et finalement, ce qui m’aura le plus amusé pendant notre randonnée cycliste de retour à Tashkent furent les vieux bâtiments délabrés de l’époque communiste et notre découverte de l’Islam-vodka.

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Un soir, alors qu’une tempête de sable complètement inattendue se levait, Momo nous invite chez lui dans un ouzbekh impeccable que nous ne déchiffrons même pas un peu. Complètement lessivés par la journée de vélo, Florian se réjouit que le type soit musulman : « au moins, il n’y aura pas de vodka ce soir« . J’aurais dû le filmer. Cinq minutes plus tard, les enfants sont priés de sortir du salon et plof! une bouteille arrive sur la table. Bien entendu, la vodka d’Ouzbékistan ne se refuse pas plus que le thé d’Iran, question de politesse. Mais tout de même, j’interrogeai notre hôte dans un russe primaire :
« Tu es musulman et tu bois de l’alcool? »
« Oui mais là j’ai des invités, je suis obligé. »

C’est commode, les invités. Et nous terminions la soirée en faisant le geste de remerciement d’Allah en « s’essuyant » le visage.
D’autres Ouzbeks nous feront le même coup deux jours plus tard : à peine débarqués dans un petit restaurant de campagne, trois gugusses à la mine joyeuse nous invitent à partager le repas et leurs troisième et quatrième bouteilles de vodka. Et là, surprise, après avoir échangé les habituelles obscénités toutes masculines de ce genre de situation et fini de boire les récipients, nous sommes encore invités à remercier le tout puissant. Il s’est en plus trouvé que le plus saoul et bourru de tous était le patron et que nous partîmes donc sans payer.

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Avec tout ça, on va finir par croire que nous pédalons tout le temps bourrés alors que nous n’avons pas toujours besoin d’alcool pour nous divertir. Lors d’une soirée un peu trop fade, Florian a su employer les grands moyens pour rompre la monotonie : bataillant une fois de plus avec un réchaud à pétrole chinois des plus récalcitrants, ce dernier lui répond avec brio en explosant. J’entends un gros brouf! et aperçois une boule de feu de 2m de haut et 1m de large lui exploser dessus. En deux secondes, je le vois gicler en arrière puis se relever en tentant d’éteindre le feu qui brûlait encore ses jambes. Le temps que j’arrive, le pétrole a fini de se consumer sur ses guiboles et je fonce alors sauver la tente qui menaçait de s’enflammer. Ô belle soirée! Pas du genre à trop s’alourdir avec une trousse de premiers secours, on limitera les dégâts en appliquant des fringues mouillées sur les brûlures.

Made in China

Made in China

Le mieux, c’est qu’il lui a fallu pédaler le lendemain sous plus de 30˚C… Trois poils de chance dans le malheur : c’est le seul jour où il ne portait pas son pantalon synthétique, le seul jour où je n’ai pas mangé en face de lui, et je n’ose imaginer le résultat de l’opération s’il avait cuisiné sous l’abside de la tente.

De retour à l’auberge de Tashkent, la réceptionniste commence à s’inquiéter de nos quelques jours de camping et à se demander si les types de l’Ovir ne vont pas nous pondre un fromage pour si peu. Sachant qu’un passage par la Ferghana vallée nous obligeait encore à camper près d’une semaine, un simple échange de regard avec Florian a suffi : demain, on se barre au Kazakhstan, on va pas passer la semaine à se demander de combien sera l’amende à la sortie, ça gâcherait le voyage. Nous n’aurons donc passé qu’une petite semaine ouzbek, c’est court mais notre patience à conneries a ses limites.
L’autre côté amusant du passage de la frontière, c’est qu’ils peuvent aussi se décider, sans avoir à se justifier, à vérifier toutes les photos et vidéos qui se trouvent sur votre ordinateur et dans votre appareil photo, et même le contenu des livres électroniques… S’ils tombent sur une photo d’un bâtiment officiel, de votre ex nue, ou pire, un boulard de chez Dorcel, ça va valser! Et ils ont déjà bloqué des voyageurs plusieurs heures le temps de vérifier chaque photo! Bref, après s’être notamment interrogé sur la légalité d’une statue de femme à poil, on a préféré tout dissimuler en fichiers cachés pour éviter de perdre du temps. Et bien sûr, on a pas été contrôlé…




In Kommunism they trust

À peine entré dans l’ancien bloc soviétique d’Asie centrale, une question me revient à l’esprit : vais-je trouver là aussi des nostalgiques de l’ère communiste comme il y a 4 ans en Russie et Yougoslavie? Depuis 2011 que nous sillonnons les routes, il est un point que j’ai mis du temps à comprendre, surtout pour l’indépendant convaincu que je suis : comment quelqu’un qui a vécu dans le communisme peut-il être nostalgique de cette période? Il doit bien y avoir quelques indécrottables mais quand même… Car, au long de nos pérégrinations, nous rencontrâmes avec surprise plus de groupies collectivistes que l’on aurait pu l’imaginer.


Ce n’était jamais dit sans modestie, et on évoquait toujours la chose en tapotant sur une tablette tactile américaine ou sud-coréenne, mais le temps des regrets et des mouchoirs était de sortie pour un moment en divaguant avec mélancolie sur la vie en rose rouge du bon vieux temps.

Les arguments économiques ne m’ont jamais convaincu, tout le monde sait à quoi ressemblait l’URSS à la chute du mur, les différences entre RFA et RDA sont toujours perceptibles bientôt 30 ans après la réunification et je n’ai pas besoin de traiter de la Corée…
Et puis j’ai commencé à m’intéresser à la Russie. Quelque chose me passionnait dans ce pays : leur masque froid qui se transforme aussitôt en empathie généreuse dès qu’on a échangé deux mots, la capacité historique du peuple russe a endurer les pires conditions, leur résignation à voter pour le parti au pouvoir par tradition 20 ans après la chute de l’Union, leur fierté slave, sans oublier leur capacité à tenir le litre ce qui n’est pas sans m’émouvoir, et les RussEs…

C’est donc en lisant beaucoup sur ce pays en particulier que le premier élément m’est apparu. Autrefois, les Russes mangeaient peut être leur pain noir mais étaient d’abord fiers d’être Russes. Ils rivalisaient avec les USA, envoyaient des hommes dans l’espace, ils se sentaient forts, protégés, l’avenir du kolkhoze était radieux depuis la Pravda, un peu moins sur place. Sur ce point, je trouve d’ailleurs que Poutine a agi de façon très intelligente en réintroduisant les vieux symboles soviétiques et en réussissant à recouvrer la fierté du peuple Russe après la déconfiture morale des années 90. Car ce qui de mon point de vue fut une libération a d’abord été vécu par beaucoup comme un cataclysme dont on ne savait trop par quel bout le prendre. La transition nécessaire entre deux économies antagonistes fut logiquement très, trop mouvementée pour un monde habitué au formol de l’État-tout-puissant.

La fier héros d'acier soviétique

La fier héros d’acier soviétique

Les Russes, comme les Français d’ailleurs, ont toujours aimé avoir un bon gros héros tout en haut de la hiérarchie et on ne balaie pas 500 ans d’État autoritaire en deux coups de cuiller à pot : Ivan le Terrible, Pierre le Grand, tous les tsars Alexandre et Nicholaï, Lénine, Staline, et finalement Poutine, on y distingue comme une continuité dans l’histoire non? Quand sa mère lui avait demandé quel métier il faisait, Staline avait d’ailleurs répondu « Tu vois le tsar? Eh bien je suis une sorte de tsar« . Gustave Le Bon a très bien expliqué le phénomène dans son analyse de la révolution française : les révolutions ne changent à peu près rien si ce n’est le nombre de décapités. Qui a-t-on eu après la mort de Louis XVI? En gros, un empereur, un roi frère de Louis XVI, un second roi frère de Louis XVI, un neveu de l’empereur et il s’en ait fallu de peu pour qu’on se colle le quinté gagnant avec Henri V, juste après la défaite de 1870. Aujourd’hui encore, nous sommes le seul État de l’Union Européenne a avoir un président à moitié roi qui peut se vanter d’intervenir dans plus de domaines que le Roi soleil lui même. Vu sous cet angle, on pardonnera aux Russes de se raccrocher à ce qu’ils connaissent le mieux. Comme disait Le Luron imitant Marchais : « La France et l’URSS? États soeurs! »

Le premier mélancolique rencontré sur notre chemin fut un Slovène qui nous avait pris en stop. Il nous prit par surprise en nous contant le panégyrique de Tito et en chantant le bon vieux temps yougo. La nostalgie camarade. Oui, nous étions plus pauvres mais la vie était plus facile, plus simple. Tout le monde avait assez à manger, un toit pourrave mais un toit quand même, un emploi. Personne ne s’interrogeait sur quoi l’avenir sera fait puisque l’avenir est déjà tracé, décidé et mis sous pli dans les hautes sphères. Le type qui nous explique ça est aujourd’hui propriétaire d’un magasin près d’une grotte célèbre. Il importe des pierres d’Asie qu’il revend comme provenant de la grotte. Un capitaliste qui a gardé les méthodes de certification soviétiques. Nostalgique mais pas con.

Évidemment, ceux qui évoquent ça n’ont pas connu l’Ukraine des années 30 ni le grand bon en avant chinois mais on comprend le ressort mental qui est en jeu. On retrouve ce trait en lisant la biographie de Limonov (par Emmanuel Carrère) : nostalgie d’une vie simple, sans trop de soucis, perte de fierté après l’explosion de l’URSS. Un fameux dicton russe dit « nous faisions semblant de travailler et eux faisaient semblant de nous payer« . Un espèce de grand jeu stupide auquel tout le monde participait par habitude. Un Polonais rencontré en Iran se souvenait aussi des files d’attentes pour obtenir à manger et me confirmait que certains regrettaient étrangement cet époque. Lui passera son tour et vit très heureux entouré de richesses « superflues ». Car il n’y a évidemment pas que des nostalgiques, comme ce Roumain qui entre deux diatribes contre les gitans, nous expliquait tout le bien qu’il pensait de cette période. Je ne détaillerai pas les arguments que tout le monde connait mais les communistes étaient responsables jusqu’aux chiens errants, causés par la relocalisation des populations. Le constat était sans appel.

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Un des nombreux ponts à l'abandon du communisme ukrainien

Un des nombreux ponts à l’abandon du communisme ukrainien

Cependant, le tableau des nostalgiques n’était pas complet, je trouvais que ça ne suffisait pas à expliquer le phénomène. Je ne prétends pas apporter une réponse exhaustive et définitive mais le dernier point à venir en explique je crois une grande partie. C’est dans un bouquin de Malcolm Gladwell (David & Goliath) que j’ai découvert la « relative deprivation« , un terme anglais créé pendant la seconde guerre mondiale par Stouffer, un sociologiste. Il découvrit en étudiant un demi-million de soldats que les hommes de la « police militaire » se considéraient plus heureux que les hommes du corps aérien bien que ces derniers aient deux fois plus de chances de monter en grade. L’explication est que les policiers militaires se comparent seulement aux autres policiers et que les pilotes en font de même au sein de leur corporation. Ainsi, les premiers sont moins souvent déçus que les seconds par rapport à leurs pairs et s’en trouvent plus heureux. Le phénomène est aussi appliqué aux étudiants des grandes écoles (en très bref, pour réussir, il vaut mieux être le meilleur étudiant dans une école moins réputée que dans le dernier quartile d’Harvard) et est relié à une autre étude de Carol Graham citée dans le même livre, « Hapiness around the world : the paradox of happy peasants and miserable millionaires » d’où il ressort que les pauvres du Honduras, bien que plus pauvres, sont plus heureux que les pauvres Chiliens car leur écart par rapport aux riches honduriens est moindre que l’écart au Chili. Vous voyez donc le phénomène que cela implique dans un pays communiste où par définition tout le monde est pauvre personne n’est riche : les gens y sont plus heureux car égaux dans la misère.

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Nous avons donc un triptyque fierté, vie facile et relative deprivation pour expliquer pourquoi certains regrettent une époque que l’on juge comme noire.

On pourrait à partir de là dériver sur la notion de bonheur et même, soyons fous, faire de la pub pour les sociétés égalitaires. Seulement il existe aussi une partie de la population qui se sent mieux dans une société non collectiviste, sans parler du prix humain à payer pour en arriver à former des gens plus « heureux ». Donc je préfère encore avoir quelques suicides par an dans une société libre.

Enfin, c’est con à dire, mais leur nostalgie me touche.