Bandits manchots
Nous faisons nos adieux à notre famille d’accueil de San Pedro La Laguna puis sautons dans un petit bateau pour traverser le lac. Adieu l’école, adieu la petite famille, adieu les bandits des montagnes.
La prochaine destination est Antigua, très proche de Guatemala City et pas très loin du lac Atitlan. Nous sommes aux aguets, l’idée qu’un bandit pourrait surgir des fourrés nous taquine. La route sinueuse offre des vues magnifiques sur le lac et nous découvrons un peu plus loin une mine de calcaire. Les parois blanches ressemblent à un palais primitif. Il fait frais et sombre et les galeries se perdent dans un noir absolu. Si nous n’avions pas pédalé qu’une dizaine de kilomètres, nous y passerions la nuit.
Nous atteignons Antigua le lendemain et décidons d’y rester pour la nuit. Ancienne capitale du pays aux rues pavées et aux façades colorées, elle héberge une myriade d’églises à moitié écroulées à cause d’un tremblement de terre survenu au 18ème siècle. L’événement fut finalement salvateur car il décida le gouvernement de changer la capitale pour Guatemala City. Antigua a pu garder son charme et son style colonial et se reconvertir tranquillement en centre touristique et un des principaux centre d’écoles pour apprendre l’espagnol.
Sur place, fouinant sur internet pour trouver la suite de notre parcours, nous découvrons qu’il y a un volcan actif tout près de nous. Nous n’avons jamais vu de lave ou reniflé de vapeurs de souffre, ça semble être une bonne idée et nous partons dans sa direction par le chemin le plus court sans nous soucier des dénivelés où de savoir où nous laisserons les vélos pour escalader le dernier kilomètre à pied. Il faut d’abord grimper un col de 500m avec une belle pente à plus de 10% pour atteindre Santa Maria de Jesus. On remarque de plus en plus de messages le long de la route, peints sur la roche ou sous forme d’affiches dont le fond dit « Ensemble contre la violence ». On repense aux bandidas que nous n’avons pas croisés au lac Atitlan, mais nous relativisons car la route est beaucoup plus fréquentée que là bas et personne ne nous a alpagué pour nous mettre en garde. Une voiture de police nous a même doublé sans rien nous dire, ce doit être sans danger. Santa Maria de Jesus culmine et marque le sommet de notre route. La traversée du village est un poil glauque car les habitants ont la mine grise. Ça arrive parfois sans qu’il n’y ait vraiment d’explication et nous n’y prêtons pas attention.
De l’autre côté la route reprend mais se transforme rapidement en chemin de terre. La tension monte, mais une fois de plus nous nous rassurons en voyant tous les locaux remonter à pied ou à cheval, chargés du bois qu’ils viennent de couper. Les bandits n’attaquent pas sur des routes fréquentées. Greg est en tête et rapidement une camionnette blanche s’intercale entre lui et moi. Elle soulève de la poussière et me force à prendre un peu de distance. Elle s’arrête quelques centaines de mètres plus loin, un type en descend et me fait signe de ralentir. Je me méfie et le jauge à distance tout en freinant lentement, prêt à prendre la tangente si nécessaire. Le type a la cinquantaine, n’est pas armé et les autres types placés de part et d’autre du camion n’ont pas l’air malhonnêtes. Il m’explique qu’il peut y avoir des bandits sur la route. Tiens donc! Il me mime un pistolet, mais tous braillent en même temps et je ne comprends pas grand chose. Ils vont nous suivre en camion, ça me va très bien. Il me fait signe de passer devant et je retrouve Greg qui m’attend plus bas, en me filmant, à qui j’annonce la bonne nouvelle.
On dévale la pente en essayant de ne pas ralentir nos gardiens, puis au bout d’un moment nous réalisons que le camion ne nous suit plus. La route est calme, trop calme. Où sont passés les types avec leurs fagots de bois et les autres qui coupent des herbes ? Trop loin pour faire demi-tour, nous continuons en forçant un peu la cadence, l’oeil rivé aux sacoches qui ont pour mauvaise habitude de tomber lorsqu’il y a trop de vibrations et des images de banditas plein la tête. Je m’imagine des attaques fulgurantes et essaye de visualiser les agresseurs, leurs fringues, armes et attitude. J’essaye de me rassurer, de penser à San Pedro où nous poussions nos vélos dans la poussière et où rien était arrivé. Ici, nous dévalons le sentier rocailleux à 20km/h, nous serons en bas rapidement. Mais au fait, quelle longueur fait-il ce sentier ??
À l’intérieur d’un virage, un mouvement dans la forêt me tire de mes pensées. J’aperçois un homme. Non, deux. Le visage noir. Non, encagoulés. Armés. Merde, ils ont des flingues ! J’aperçois juste un canon noir dépasser, pas le temps de voir quoi que ce soit d’autre. L’adrénaline explose, je relâche complètement les freins mais il faut que je continue à regarder où je vais. Un caillou devant ma roue et je finirai à terre. Je jette des coups d’oeil de biais, puis sur le côté alors que je passe à leur hauteur. Eux me crient des trucs en espagnol en courant dans ma direction en pointant leur flingue. Tout se passe en quelques secondes confuses. J’ai l’impression que ma vitesse les a pris de surprise et qu’ils ont du mal à sortir de leur cachette, comme empêtrés dans des herbes, mais ce n’est sans doute qu’une impression du au fait que je ne peux pas les fixer plus d’une demie seconde à chaque fois au risque de me vautrer. Deux secondes plus tard et je suis déjà en contrebas et je crie à Greg qui ne m’entend pas « Fais gaffe il y a des types armés ! ». Il les a déjà vus, mais eux ont eu le temps d’atteindre la route. Il y a une vingtaine de mètres entre lui et moi, et seulement quelques uns entre lui et les bandits.
Greg : J’étais dans mes pensées quand je vois un type foncer droit sur moi, le fusil (je crois) pointé dans ma direction. Mon premier réflexe est de crier « Wow! Wow! Wow! Wow! » comme pour leur dire « vous êtes marteaux! vous m’avez fait peur! » Il me faut une seconde pour vraiment réaliser que c’est pas pour rire et j’accélère comme jamais pour leur échapper. Et ils tirent deux secondes après que je sois passé à leur hauteur, je baisse la tête!
Alex : J’entends une détonation. Une à deux seconde après, une seconde, cette fois-ci suivie d’un bruit d’impact sec et clair à ma hauteur. La seconde balle s’est donc écrasée à ma hauteur, mais où est la première ? Je me retourne sans cesse en essayant de fixer Greg le plus longtemps possible, traquant tout indice me confirmant qu’il est touché. À ce moment là il a également dépassé les deux agresseurs et nous dévalons comme des fous furieux. Je me retourne trois à quatre fois avant d’être rassuré. Nous continuons à dévaler le sentier jusqu’à ce que l’adrénaline retombe. Je pense que nous avons parcouru environ 2 kilomètres avant que nous ne nous arrêtions.
Greg est devant un panneau annonçant une propriété viticole. Il veut se planquer là et chercher de l’aide. Je m’imagine déjà les bandidas nous poursuivant avec je ne sais quel engin et suis plus enclin à continuer à dévaler la montagne. On s’engage finalement dans la propriété en jetant des coups d’oeil par dessus nos épaules. Une sacoche se vautre. Je la ramasse et nous reprenons la descente. Un pick up, puis deux, puis une grande maison qui ressemble à un château apparaîssent successivement. Joie, civilisation, aide ! Pas de signe d’homme, mais trois bergers allemand en liberté gardent la maison et se mettent à nous japper dessus. Ce ne sont pas de mauvais bougres et ils se mettent vite à remuer la queue et nous laissent passer.
Nous attendons devant la maison une demie heure, puis commençons à cuisiner. Il est 13 heures et toutes ces émotions nous ont donnés de l’appétit. Le proprio choisit ce moment pour faire son apparition. Nous lui expliquons la raison de notre présence sur sa pelouse avec deux réchauds et il s’en va immédiatement en pick up chercher la police et les clients qu’il devait rencontrer.
Il revient 20 minutes après, suivi d’un pick-up noir de la police municipale. Nous finissons de manger puis chargeons les vélos à l’arrière du pick-up en les pliant sommairement sous les yeux ébahis de nos chauffeurs du jour. Ils nous covoiturent alors jusqu’à Palyn, enfreignant légèrement le règlement leur interdisant de sortir de leur juridiction, toujours dans ce petit chemin de terre. Cette fois, on aurait presque envie que les encagoulés repointent leur nez pour se faire accueillir comme il se doit.
La visite du volcan est annulée. Pas moyen de retourner sur des petites routes aujourd’hui. Nous allons désormais coller à la route principale pour un moment, le temps de pouvoir rigoler de cette histoire. Demain, nous passerons la frontière du Salvador, réputé dangereux également. Pour nous, il y aura une frontière entre nous et nos agresseurs, ça a un côté rassurant.
Dans ce genre de situation, il est souvent recommandé de ne pas opposer de résistance et de ne rien tenter. Il faut encore pour ça que la raison prenne le pas sur les réflexes biologiques primaires. Tout s’est passé tellement rapidement que seules nos jambes ont répondu présentes sur le moment, ce qui pour le coup a été salutaire. Mais ça aurait pu aussi plus mal finir si les bandits n’avaient pas été des manches au tir à la carabine !