Destruction Derby
Je me réveille. Il est 7 heures. Le train parcoure tranquillement les derniers kilomètres de Gobi avant la frontière chinoise. Encore une heure avant l’arrivée à Zamin-Uud, la ville frontière entre la Mongolie et la Chine. Le temps de ranger les affaires, reconstituer les sacs. Le temps pour notre voisin de cabine de renverser son café partout. Le temps de boire un thé.
Sur le quai on rencontre Vladimir, une connaissance d’Irkutsk, et Laurence une québécoise. On va se partager une jeep pour passer la frontière car cette dernière ne se passe qu’en véhicule. La frontière ouvre à 9h et l’attente peut durer plusieurs heures pour passer en Chine. C’est pourquoi à la sortie du train la populace se jette sur les jeeps pour être en pôle position dans la file d’attente. Commence alors la valse des négociations. De notre côté pas d’urgence. La moitié des jeeps sont déjà parties remplies de touristes et de locaux, l’autre moitié nous propose des prix. On attend jusqu’à atteindre une proposition correcte, 250 yuans à 4, 62,5 yuans par personne. Go.
Une longue procession de jeeps patiente, on remplit les formulaires d’entrée en Chine qu’on nous remet pour gagner du temps. On se dégourdit les jambes dehors pendant que notre chauffeur avance par à-coups. Je revois Smith, champion de beatbox mongole qui était dans une cabine voisine de train. Il m’offre des dumplings dans du thé mongole et nous fait des démos de scratch beatbox. Smith dont j’ai oublié le vrai nom (à vrai dire je n’arrivais même pas à le prononcer) va faire ses emplettes en Chine : un iPhone 4 et un iPad 2. La grande muraille il s’en bat le steak, mais il a bien noté l’adresse de l’Apple Store.
Après un ultime check point et une énième vente de billet de tombola (racket douanier), on atteint la douane mongole. Tout le monde descend de la jeep avec ses affaires respectives. Des mongoles nous doublent dans la file d’attente (à pied) et se comportent comme des débiles pour changer. Ils osent même inviter leurs potes à les rejoindre dans la file. Ils sont trop cons pour comprendre la politesse. On reprend la jeep.
Nous sommes dans la zone vide entre la Mongolie et la Chine, – cette zone commune à toutes les frontières où on se demande à chaque fois « qu’est-ce qui arrive si je reste bloqué ici, si je me fais buter, etc etc ? ». Si quelqu’un a la réponse… ? – Le moteur gronde, fonce à travers un espèce de lavage auto et se range derrière une nouvelle file de jeeps. 5 cm de plus et on c’est la collision avec la jeep de devant. Quelques minutes après une seconde file se crée à droite. Et puis une nouvelle à gauche. On comprend plus tard que tout le monde tente de s’insérer dans la notre. La jeep devant avance de 20 cm et notre chauffeur saute sur la clé de contact et fait tousser le moteur. Rien. Il s’affole, réessaye jusqu’à ce que l’antique système redémarre, et se recale prestement contre la voiture devant.
C’est alors que commence le stock car. Les files annexes s’insèrent dans le moindre interstice entre deux jeeps, y glissent un bout de pare-choc avant et revendiquent alors la place. C’est à celui qui craint le moins pour sa peinture et il semblerait que tout le monde s’en carre. Notre chauffeur laisse passer un pote à lui dans la file d’à côté. Celui de derrière s’excite et nous balance de grands coups de pare-choc. A fond sur sa pédale d’accélérateur, notre chauffeur à fond sur son frein, on est en train d’enfoncer l’aile arrière de la jeep du copain. La situation est surréaliste. Vladimir ne comprend pas et tente de bloquer la jeep amie avec sa portière. Elle manque de s’arracher dans l’affaire ! Plus tard c’est une voiture à gauche qui tente sa chance et nous arrache un protège aile en plastique en jouant à frotte frotte. Notre chauffeur descend, ramasse son bout de bagnole et remonte avec le sourire. L’autre taré derrière n’a toujours pas lâché sa pédale d’accélérateur et nous pousse constamment. Pas de soucis on ne risque pas de quitter le pare-choc de la voiture de devant. C’est encore mieux quand le gaillard prend un peu d’élan pour jouer aux auto tamponneuses.
On atteint finalement le goulot d’étranglement où la triple file disparaît. Une dernière tentative de passage d’une jeep sur notre droite nous bloque lamentablement, elle et nous, côte à côte coincés en largeur comme des sardines. Une autre voiture s’approche par la gauche et fait vite demi tour à la vue du douanier chinois qui s’avance vers elle. Entre la Mongolie et la Chine on peut faire n’importe quoi, mais arrivés en Chine gare à tes fesses.
Au check point des passeports par les chinois, une mongole se précipite à ma place pendant 2 secondes d’inattention. Elle se fait remballer par le douanier chinois. J’attribue une bonne note à mon douanier sur le boîtier électronique de vote. Quelques diodes rouges d’un tableau lumineux nous souhaitent la bienvenue « Welcome to China ».
Notre chauffeur nous emmène jusqu’au centre d’Erenhot. On lui paye à bouffer pour sa bravoure à ne pas s’être laissé gratter dans la file de jeeps. Tout le monde se sépare et on se met à pédaler direction Datong à 480 bornes de là.